En 2005, mon ami Lucien Roux, alors directeur de l’Alliance Ethio-Française d’Addis Abeba, m’a remis le catalogue d’une collection d’oeuvres d’art qu’il avait constituée tout au long de son mandat, non pas pour accroître le patrimoine de son établissement, mais avec l’espoir qu’elle serve de base un jour à un musée d’art moderne à Addis Abeba. Cet ouvrage dévoile les oeuvres d’une vingtaine d’artistes peintres éthiopiens qui ont tous été présentés sur les cimaises de l’Alliance. Y sont mentionnés les noms de jeunes artistes fraîchement échappés de la fameuse Ecole des Beaux-Arts (aujourd’hui Fine Art School Dpt of Addis Abeba University) fondées en 1958 par Ale Felege Selam, ceux d’autodidactes ou encore d’artistes appartenant à la génération précédente et, pour certains, influencés ou issus de l’un des trois courants majeurs de l’art moderne éthiopien ( art religieux ou talismanique, art expérimental des années 60, “art de la confusion” correspondant à la période du post-réalisme socialiste). Le choix de la diversité fut sans doute opportun, car nul ne peut dire aujourd’hui ce qui caractérise la création artistique éthiopienne, si ce n’est la quête d’une nouvelle écriture symbolique qui serait partagée et reconnue par tous. L’Ethiopie, à la poursuite d’un nouveau mythe culturel pour témoigner devant le monde de son identité complexe, accouche depuis plus de 10 ans de créateurs qui n’ont de cesse d’interroger les réalités politiques et les fragmentations ethniques qui maintiennent une nation toute entière dans un indescriptible chaos. Dissymétrie radicale des destins où des PDG diplômés des meilleures universités américaines côtoient des paysans démunis maniant boeufs et charrues selon un modèle en tout point similaire aux descriptions des manuels d’histoire médiévale.
Le titre “Ethiopia Remix” suggérait dans son appellation cette diversité avérée de la création éthiopienne et davantage encore une tendance de l’art (qu’on peut observer ailleurs en Afrique) où la tradition figure le terreau fertile des expérimentations contemporaines. Mais il constituait aussi, sinon une provocation, un clin d’oeil à la grande manifestation “Africa Remix” programmée par le Centre Pompidou à la même période. Cette dernière en effet faisait presque une impasse sur la création contemporaine éthiopienne.
Gera, Le rempart de la croix / Acrylic on canvas
© source: Revue Noire n°24
Seuls deux artistes d’origine éthiopienne en effet y ont été présentés: Gera et Julie Mehretu. Le premier a rejoint l’éternel il y a 8 ans déjà, la seconde est plus présente dans les galeries new-yorkaises que dans la conscience ou la mémoire de ses pairs éthiopiens. Mais qu’importe, je reviendrais dans mon prochain article sur le choix sans doute difficile à entériner du commissariat de l’exposition.
Gera, de son vrai nom Geramawi Mezguebu (dont les oeuvres malheureusement sont absentes l’édition catalogue d’Africa Remix !), figure par contre en bonne place dans Ethiopia Remix. J’en ai retrouvé une trace également dans le n°24 de la Revue Noire (mars-mai 1997). Gera, diplômé en poésir rhétorique (qéné) et considéré comme un véritable savant de l’Eglise orthodoxe d’Ethiopie, a sans doute été sélectionné par Africa Remix pour son approche particulière de l’art talismanique éthiopien et sa référence au symbolisme religieux auquel beaucoup d’artistes éthiopiens actuels n’ont pas su ou voulu se soustraire. Les anges ailés, les croix, les démons, l’oeil qui voit tout, dieu ou le diable, toute l’imagerie sacrée éthiopienne semble se compacter dans l’oeuvre de Gera tel un bréviaire des remèdes. Car ne l’oublions pas , les rouleaux magiques (talismans aux fonctions curatives) dont s’inspire l’artiste, continuent de circuler en Ethiopie, parmi les victimes d’affections de toute sorte, et sans doute avec beaucoup plus d’aisance que les ordonnances médicales.
GERA, All about angels/ Acrylic on canvas, 40X58 © source: Revue Noire n°24
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