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Kazanchis: haut-lieu de la musique populaire éthiopienne

Publié le 18 mars 2008 par Icipalabre

inside-yewodal.1205859681.jpgA ceux et celles qui voudraient découvrir la musique éthiopienne et son histoire, les rayons “Musique du monde” des disquaires occidentaux offrent un catalogue fabuleux de disques édités dans la collection “Ethiopiques” chez Buda Musique. Francis Falcetto, expert incontesté dans ce domaine, dirige cette collection (qui en est à son vingtième volume) depuis une dizaine d’année. L’homme a consacré sa vie à des recherches sur l’ethio-jazz et les musiques modernes et traditionnelles éthiopiennes, collectant des enregistrements anciens qu’on croyait perdus. Un travail “archéologique” monumental. Il faut dire que la plupart des disques pressés jusqu’en 1975 (environ 500 45T entre 69 et 78) était présumée disparue jusqu’à ce que Falcetto découvre qu’un des producteurs de l’époque(Amha Eshèté) ayant émigré aux Etats-Unis pour cause terreur rouge après le renversement de HIM Hailé Sélassié, avait pris soin de sauver dans sa fuite une grande quantité de ses masters. Après plusieurs années de quête, Falcetto en retrouve la trace, en Grèce ! La redécouverte de ce précieux fonds est en partie à l’origine des “Ethiopiques”. Toute l’histoire est contée et documentée dans les livrets passionnants joints à chacun des CD de la collection dont je ne saurai trop vous recommander la lecture.
Les “Ethiopiques” ne se limitent pas toutefois à cette mise en valeur d’un patrimoine méconnu. Falcetto réalise plusieurs opus rendant compte de l’engouement jamais démenti du public éthiopien pour ses traditions musicales. L’album “Tetchawet” (Amuse-toi!) en particulier compile quelques prises de son sublimes des meilleurs Azmari (musiciens chanteurs maîtres dans l’art du “sem enna worq”) des années 90. Pour en préserver l’authenticité, les enregistrements sont réalisés sur le lieu même où se produisent chaque soir les talentueux griots: les “Azmari bet” (sorte de cabarets populaires).

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C’est là précisément où je me rends, bravant les ruelles incertaines du quartier Kazanchis. Les deux adresses les plus célèbres, “Fendika” et “Yiwodal” que j’avais explorées il y a dix ans déjà, n’ont, de mémoire, subi aucun traitement rénovateur. Une pénombre insondable emplit ces modestes temples, quelques bancs et tables basses bricolées, des tabourets disparates en bois brut, une alcôve tapissée d’herbes fraîches réservée à la cérémonie du café, quelques guirlandes lumineuses relevant à peine la blancheur pâle des tentures finement tissées qui ornent les murs. Transe musicale et improvisation poétique s’y déploient tel un vent chaud dans un champ de côton.
Cinq ou six azmaris se relaient au “masinqo” (sorte de violon monocorde) durant la soirée. Ils laissent libre cours à leur imagination dans une expression poétique très codifiée et improvisée en fonction des spectateurs présents dans la salle. Flatterie, dérision, moquerie… les azmaris cultivent l’ambivalence et le double-sens, et peuvent tout dire,sans tabou, transgressant les règles universels de a bienséance.

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Le touriste souriant est la proie idéale. Au “Fendika”, l’azmari m’épingle alors que je m’assois à peine, au fond de la salle, un peu à l’écart. On me demande, mon nom, mon origine… il reprend les informations données dans une échappée où j’identifie aussi quelques mots comme “Carla Bruni”, “Brigitte Bardot”, “Michel Platini”. Face à mon absence de réaction (je peine hélas à comprendre l’amharique) viennent quelques critiques sur ma coiffure, ma tenue, les deux bières (Meta) que j’ai commandées successivement. On me traduit: le type me compare à un “Nokia déchargé”, ce qui fait rire aux larmes un petit groupe assis à ma droite. D’autres personnes vont déguster: deux jeunes femmes blanches attirent l’attention du chanteur. Ils s’approchent d’elles et annoncent qu’elles ont le cul si plat qu’aucun des hommes présents n’en voudrait. Mais que toutefois, si l’un d’entre eux avait désepérément besoin d’un visa Schengen , il n’y avait qu’à se servir. Les deux nanas applaudissent béatement alors que l’azmari s’éloignent dans un éclat de rire général.

Je pose discrètement mon Panasonic sur la table en mode vidéo. Hélas, la luminosité est inexistante, mais le son est là. (voir la vidéo sur icipalabre.com , rubrique “Palabres”)

JMN


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