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Le lendemain

Publié le 20 octobre 2008 par Unepageparjour

Début du Rosier de Julia

Le lendemain, elle fut tirée de ses rêves par un matin sale et bruyant. Son premier matin parisien ! Elle mit un certain temps à comprendre ce qui lui était arrivé : cette autre chambre, ce lit étranger, même cette fenêtre qui laissait passer un jour singulier. Elle se rappelait la longue route de la veille. Sa mère privée d’âme. Le regard dur de son père dans le rétroviseur. Puis elle se souvint de son rosier.

Jeanne l’appelait pour le petit déjeuner. Elles mangèrent en silence. Jeanne, fatiguée, les traits tirés, le visage blafard, les yeux rougis, restait ailleurs, dans un vide dont elle seule percevait les contours. Elle n’osait pas regarder sa fille. Elle la fuyait.

Je vais téléphoner à Anna, pour voir si tout va bien, finit-elle par avouer, pour clore ce pauvre repas.

Julia s’enferma dans la salle de bain, fit couler l’eau de la baignoire, et s’examina. Les racines du rosier disparaissaient dans sa propre chair, comme dans une terre aimante et fertile. Le tronc et les branches, souples, jaillissaient de son corps avec naturel, portant un feuillage luisant, souriant d’aise. Julia essaya de retirer la plante de son flanc. Mais cela n’était pas possible, de la même manière qu’il ne lui était pas possible de se retirer un doigt de la main. Le rosier faisait partie d’elle-même, comme ses bras, ses jambes, sa tête. La surface des feuilles, d’ailleurs, était dotée du même réseau nerveux que le bout de ses doigts. Elles ressentaient les caresses, la douceur du pyjama, la température de l’eau, la sécheresse de l’air.

En pénétrant dans l’eau tiède de son bain, Julia s’imprégna d’une joie bienfaisante. Son rosier entrouvrait ses branchettes, s’étirait, s’ébrouait. Une sensation de plénitude, qu’elle n’avait jamais éprouvée jusqu’alors, s’emparait de tout son être, irradiant dans les moindres recoins de son corps, palpable entre ses doigts, entre ses cuisses, dans sa nuque, dans le creux de son ventre, du bout de ses orteils jusqu’à la racine de ses cheveux, et surtout, surtout, le long de chacune des nervures de ses feuilles dentelées. Dans ses veines semblait couler un sang nouveau, dont les battements puissants se mêlaient aux flots de sève du rosier. Elle restait ainsi longtemps, les yeux clos, allongée à la surface de l’eau, complètement heureuse.


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