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L’Arc-en-ciel

Publié le 21 octobre 2008 par Jlk

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En sortant de nous l’enfant nous a sortis de nous, me dis-je alors qu’un nouveau jour gris sort de la nuit et que je m’apprête à mettre des couleurs aux mots et aux noms sous cette douce lumière d’aube ou de fin d’après-midi que diffuse le nom de Ludmila, et relevant les yeux sur le gris du jour voici que m’apparaît, miracle de toutes nos enfances, l’arc-en-ciel des couleurs que je m’apprêtais à tirer de ma nuit.
Fugace, merveilleuse apparition, cliché parfait de l’émerveillement multimillénaire de toutes les enfances du monde - à son pied se cache un Trésor me disait mon grand-père, surnommé le Président, et je me revois avec ma pelle de crédule enfant sur le chemin du pactole, je me vois quitter le jardin de nos enfances et remonter vers le grand pré dont l’arc-en-ciel a surgi comme une signe manifeste de Celui qui a planqué le trésor, un formidable élan me porte, pas un instant je ne doute de ce que m’a raconté le Président dans son jardin à lui, puis je me trouve au lieu même que j’avais repéré et voici qu’un grand désarroi s’empare du chercheur de trésor constatant que l’arc-en ciel n’y est plus, s’étant pour ainsi dire volatilisé, et quelle déception c’est alors, quelle désillusion dont je ne parlerai à quiconque mais qui laissera en moi comme une marque à vie, selon l’expression, , quel dépit pour l’aventurier, Long John Silver ne serait pas moins désappointé et pourtant, tant d’années après, c’est à présent l’image de Coboye qui me revient, cher vieil épouvantail à chapeau de western que j’observe mélangeant ses couleurs au beau milieu de ce même grand pré, titubant un peu devant son chevalet et m’adressant, non sans cesser de maugréer, comme un signe de connivence.
Le lieu commun du poète donnant telle ou telle couleur aux lettres, A vert, O noir, tout le bazar, me sert du moins ce matin comme tout me sert de la soupe originelle de toutes nos mémoires dans l’immensité de laquelle affluent tous les affluents par la confluence ondulatoire et corpusculaire des particules, il n’y a pas que notre lac originel qui s’étale là-bas mais tous les lacs noirs d’Afrique et les lacs verts d’Océanie et les lacs de sable et les lacs de sang - mais je divague, je me mélange les pinceaux, je vais te faire une Mère à l’enfant comme tu n’en as jamais vue.
Les couleurs, dans leurs tubes, sont comme de petites poupées à têtes multicolores attendant dans la maison miniature préparée dans la chambre elle aussi préparée de l’enfant. L’enfant habite la maison depuis quelque temps déjà mais pour le moment elle fait son job à plein temps de petite marmotte à marottes limitées : je mange et je digère et je chie et je dors et je crie est à peu près tout le programme, que le père étudie, absolument niais, non sans y participer : je lange et me lève la nuit et réchauffe sa popote, tout m’émerveille de ce loupiot.
Tout cela nourrira les couleurs de La Mère à l’enfant, me dis-je ce matin en préparant ma palette de rapin raté qu’irradie la joie de la simple idée de peindre La Mère à l’enfant qui se trouve par excellence, par les temps qui courent, la chose qui ne se fait plus chez ceux qui se disent aujourd’hui plasticiens. Il est vrai que je retarde terriblement et en tout. Je me sens tout à fait le contemporain de Lascaux ou de Paolo Ucello, les madones de Fra Angelico ou de Duccio, les garçons de Luca Signorelli ou du Caravage, les ciels de Corot ou de Turner sont du temps que je fais mien ce matin, loin des performers et des designers, qui sont un peu les raiders et les traders de la foire aux vanités.
Mon temps de ce matin est celui de la palette de Cézanne, pourrais-je dire par manière de reconnaissance au vieux maître dont la fraîcheur de l’œil est celle-là même de l’enfant au milieu du grand pré à l’arc-en ciel, mais les couleurs viennent toutes seules, pas besoin de palette ni de référence, les couleurs affluent et pas besoin de les convoquer ou de les aligner, tout va se passer par elles et ce sera comme l’apparition, tout à l’heure, de ce miraculeux Phénomène, oui faire, au grand sens de la poésie, faire au sens d’un dévoilement stupéfiant de beauté, sans savoir ce que diable elle est, le signe de quel Dieu vivant, faire se fait à l’aveugle par le seul jeu des couleurs montées du tréfonds de toutes les mémoires en lents glacis : c’est ce que je me dis en les laissant venir à la toile en cette fin de matinée éternelle : ce sont les couleurs, ce sont les douleurs, ce sont les parfums et les caresses, ce sont les mélodies des berceuses et des élégies, ce sont les mots que murmure la mère éternelle à l’enfant qui vient - et maintenant tu te tais…


(Ce texte est extrait de L’Enfant prodigue, roman en chantier)

Image JLK: Arc-en-ciel au lever du jour, ce 21 octobre 2008, vu de La Désirade.


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