L’arsenal thérapeutique pour combattre la sclérose en plaques (SEP) s’est étoffé ces 10 dernières années et va encore se modifier à court ou moyen terme tant la recherche dans ce domaine est active. Cet article a pour but de synthétiser les données actuelles concernant les produits ayant reçu une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans le traitement de cette pathologie.
Définitions
La SEP est la pathologie neurologique invalidante la plus fréquente chez les moins de 40 ans. Elle procède d’épisodes inflammatoires successifs affectant la substance blanche (SB) du système nerveux central (SNC) (notion de dissémination dans le temps et l’espace) entraînant une démyélinisation.
Au sein de la SB on retrouve des cellules gliales de soutien et des axones myélinisés. Cette myéline entourant les axones est métabolisée par les oligodendrocytes.
Le diagnostic de la maladie se base sur des critères cliniques et IRM (crâne +/- moelle épinière).
Physiopathologie de la SEP
L’origine de la SEP reste inconnue et serait polyfactorielle faisant intervenir des facteurs infectieux, environnementaux et génétiques. C’est une maladie à composante auto-immune dirigée contre la myéline et ses protéines.
La "lésion active" de la SEP est une infiltration de la SB du SNC par un processus inflammatoire principalement lié aux lymphocytes T circulants. La succession des épisodes (ou poussées) va entraîner à la longue une perte de substance, une raréfaction des oligodendrocytes, des cicatrices non fonctionnelles et enfin une mort neuronale sous-jacente.
Les formes cliniques de la SEP
La forme la plus fréquente est dite rémittente, "par poussées" successives (2/3 des cas). A l’opposé existent de rares formes progressives d’emblée (dites progressives primaires) (10% des cas). Les formes rémittentes évoluent tardivement vers une progression du handicap (formes dites progressives secondaires).
Les objectifs du traitement de fond
L’objectif initial des thérapeutiques de fond de la maladie est la réduction de fréquence des poussées. Dans un second temps l’objectif serait de bloquer l’apparition d’un handicap et d’une phase secondairement progressive.
Traitements de fond existants (octobre 2008)
Les produits (cités par ordre chronologique d’obtention de l’AMM)
- Bétaféron
Interféron béta 1B disponible depuis fin 1995 s’administrant en 1 injection sous-cutanée (SC) 1 jour sur 2.
- Avonex
Interféron béta 1A disponible depuis 1997 s’administrant en 1 injection intra-musculaire (IM) par semaine.
- Rebif
Interféron béta 1A disponible en 2 dosages depuis mai 1998, s’administrant en 3 injections SC par semaine.
- Elsep
Mitoxantrone, molécule de la famille des anthracyclines disponible depuis 2003 s’administrant en milieu hospitalier en 1 perfusion intra-veineuse tous les mois pendant 6 mois maximum.
- Copaxone
Acétate de glatiramer disponible depuis début 2004 s’administrant en 1 injection SC chaque jour.
- Tysabri
Natalizumab, anticorps monoclonal disponible depuis juin 2007 s’administrant en 1 perfusion intra-veineuse d’1 heure toutes les 4 semaines en milieu médicalisé.
La tolérance de ces produits
Interférons béta et Copaxone jouissent d’un recul d’utilisation de plus de 15 ans avec une sécurité d’emploi et une tolérance excellente à long terme (effets pseudo-grippaux pour les interférons, réactions aux points d’injection).
Elsep nécessite une surveillance étroite sur le plan cardiaque, hématologique et au niveau des gamètes.
Tysabri peut entraîner des réactions allergiques et le développement de rares affections opportunistes potentiellement graves.
Les indications de ces produits
En première intention :
Copaxone et interférons béta peuvent être prescrits selon la procédure concernant les médicaments d’exception par un médecin spécialiste en neurologie, dès que le diagnostic de SEP rémittente est posé (critères diagnostics actuels dans [1] et [2]). Ces produits appartiennent au groupe des médicaments "immuno-modulateurs".
En cas d’échec des traitements immuno-modulateurs :
Tysabri
Est indiqué en cas de persistance de poussées malgré un traitement bien conduit par interféron béta, ou en cas de SEP sévère d’évolution rapide (au moins 2 poussées dans l’année avec une IRM récente de moins de 3 mois montrant des prises de contraste ou une accentuation de la charge lésionnelle)
Elsep
Est indiqué en cas de SEP cliniquement agressive : 2 poussées avec séquelles dans l’année précédente avec IRM de moins de 3 mois présentant au moins 1 prise de contraste, ou progression du handicap au cours des 12 mois précédents (mesuré sur une échelle clinique spécifique nommée EDSS) également associée à une prise de contraste en IRM (moins de 3 mois).
Quelle thérapeutique choisir en première intention et sur quelles données ?
De l’intérêt d’un traitement précoce
Trois études multicentriques contrôlées contre placebo (concernant Avonex [3], Rebif [4] et Bétaféron [5]) ont montré que le traitement par l’interféron béta des patients présentant un premier épisode de symptômes neurologiques (également appelé syndrome cliniquement isolé) fortement évocateur d’une SEP retardait l’évolution de la maladie vers une SEP cliniquement définie (donc la survenue d’un 2ème épisode neurologique).
- Donc, un traitement immuno-modulateur doit être débuté tôt une fois le diagnostic posé et expliqué au patient.
Un effet dose-dépendant de l’interféron béta ?
Il y a quelques années une étude comparant l’efficacité à court terme entre 2 interférons béta (Avonex et Rebif) fit grand bruit [6]. Après 6 mois de traitement, un effet supérieur du Rebif (interféron à dose élevée) par rapport à l’Avonex semblait "évident" selon les auteurs en terme de délai de survenue d’une poussée clinique et données IRM.
Aucune autre étude randomisée n’a pu démontrer un effet "dose" que ce soit avec Avonex (simple dose versus double dose pendant 3 ans) [7] ou Bétaféron (simple dose versus double dose pendant 2 ans) [8].
Les études observant les patients sous chacun des interféron béta n’ont également pas permis d’affirmer la supériorité d’un produit par rapport à un autre. Ainsi dans l’étude la plus importante QUASIMS, 7733 SEP (sur 682 centres répartis dans 13 pays) ont été suivies sur 2 ans (3 groupes de patients dont environ 35% étaient sous Avonex, 35% sous Bétaféron et environ 30% sous Rebif) : aucune différence entre les 3 groupes n’a pu être observée en terme de taux de poussées et progression du handicap [9].
- Donc, en cas d’échappement thérapeutique à un interféron béta, l’augmentation de la dose d’interféron n’est pas synonyme d’amélioration de la réponse clinique.
Interféron béta ou Copaxone ?
Deux études multicentriques randomisées ont récemment comparé interféron béta et Copaxone :
-
-
- dans l’étude "BECOME" [10] incluant 75 patients, il n’y avait pas de différence significative à 1 et 2 ans entre Bétaféron et Copaxone sur des critères IRM.
-
-
-
- dans l’étude "REGARD" [11] incluant 764 SEP le délai d’apparition de la première poussée sous traitement par Rebif ou Copaxone n’était pas significativement différent.
-
- Donc, il n’y a pas de supériorité prouvée entre les différents traitements immuno-modulateurs.
Une réponse variable aux interférons béta – rôle des anticorps "neutralisants" ?
Les interférons béta ont un mode d’action complexe. Il semble que les patients tirant le meilleur bénéfice (bons répondeurs) de leur utilisation aient une maladie plus "inflammatoire" et moins "dégénérative" que les autres (mauvais répondeurs) [12].
Des anticorps dits "neutralisants" dirigés contre l’interféron sont observés chez un nombre élevé de patients allant de 10 à 45% selon le produit (Bétaféron plus immunogène que Rebif lui-même plus immunogène qu’Avonex). Ils peuvent être transitoires (pic d’apparition entre 6 et 12 mois de traitement) mais leur persistance peut entraîner une perte d’activité du produit et donc l’apparition de poussées de la maladie (maximum entre 18 et 24 mois de traitement). Il est impossible actuellement de prédire quel patient va développer ces anticorps et surtout quels anticorps vont persister et induire une recrudescence de l’activité de la maladie par perte de l’activité de l’interféron béta [13].
- Donc, on ne peut pas prévoir la réponse au traitement par interféron béta. Même si les anticorps neutralisants semblent jouer un rôle négatif, leur dosage reste limité en pratique.
Conclusions
Tout patient diagnostiqué SEP doit pouvoir bénéficier de la mise en route rapide d’un traitement immuno-modulateur par interféron béta ou Copaxone.
L’échappement au traitement immuno-modulateur :
-
- doit faire envisager un traitement par Elsep ou Tysabri après avis collégial (idéalement au sein d’un réseau de soins). L’utilisation de ces molécules doit être réservée à des équipes expérimentées afin que soit mise en place une surveillance clinique spécifique.
-
- en cas d’absence d’indication d’Elsep ou Tysabri, l’alternative pourrait reposer (sans preuve formelle) sur un "switch" entre interférons et Copaxone (c’est à dire en changeant potentiellement le mode d’action du traitement…).