Scène de vie: La Misère.

Publié le 22 octobre 2008 par Dan
J'étais aux urgences psychiatriques. Autrement dit, je me trouvais en première ligne. C'est l'endroit où l'on amenait toutes les personnes qui décompensaient psychologiquemment dans le "milieu urbain". Une fois escorté par les policiers, toutes les rues menaient chez moi.

Quand elles arrivaient, elles étaient toujours en pleine crise. Des cris, des hurlements, des coups, une force prodigieuse, des menaces, des insultes, furent le lot quotidien. Heureusement, l'équipe était solidaire. Nous n'étions jamais seul. Nous agissions toujours en groupe.

Alors que la journée était calme, nous reçûmes un appel. Une entrée!

Le camion stationna devant l'établissement et je vis trois policiers en descendre. Ils escortaient un homme d'une soixantaine d'année, à l'apparence incroyablement calme. La personne paraissait compliante, calme mais mutique. Il était habillé d'une vieille doudoune grise,noire et déchirée. Le col était remonté jusque sous le nez. Un pantalon bleu-gris avec des tâches rouges semblait témoigner d'une certaine violence passée. Il entra dans l'établissement. Aucune violence. Aucun mot. Un incroyable silence régnait. Cependant, l'odeur devint pestilentielle. Un mélange d'alcool, de transpiration, de pieds, d'urine, de selles, de vomit sur ses chaussures et un je ne sais quoi d'autre collé à ses chaussettes.

Dans un premier temps, le médecin essaya d'engager un dialogue. Les tentatives restèrent infructueuses malgré tous les efforts déployés.

Dans l'infirmerie, la police me briefait:

- Nous le connaissons depuis longtemps. Il se fait appeler Maurice. Il habite à la gare. Il est SDF depuis plus de 20 ans. D'habitude il est ivre mais si on le laisse dans un coin, il n'embête jamais personne. Cette fois, il a décompensé sur la nana qui tient le guichet à la gare. Il voulait la tuer parce qu'il disait que satan la manipulait...Vous avez dû le voir à la gare,non? Il dort toujours debout alors on le remarque facilement. C'est le seul qui dort debout, vous voyez? Il refuse de se coucher. Ah oui, aussi. Sous sa doudoune, il porte trois pulls et quatre tee-shirt. Eté comme hiver! Il est fou, c'est sûr. Souvent, il est entre le quai 7 et 8. Y'a moins de passage. C'est plus calme, vous comprenez. Vous ne l'avez jamais vu? Non parce que vous ne pouvez pas le louper. Je vous ai dis qu'il dormait debout? Il est fou ce type-là. Bon. Pour la nana. Il a voulu l'étrangler derrière son guichet. Il y avait du monde partout mais ça ne l'a pas découragé. Il a sauté par-dessus le pupitre et en criant, il parait qu'il l'a attrapé le col.Vous savez comment sont les femmes? Il en faut peu pour les intimider. Elle est presque tombée dans les pommes la malheureuse. Heureusement qu'il y avait ses collègues "hommes" pas loin pour l'aider. Ils ont sauté a 5 sur Maurice et le 6ème nous a téléphoné. Depuis qu'on est avec lui, il est comme ça. Il ne parle plus. Pourtant il nous a vomit dans le camion et à pissé sur la banquette ce cochon. Bon allez, on ne s'attarde pas davantage, on a du boulot de nettoyage.

Je revins voir Maurice. Toujours aussi calme mais dont la langue s'était déliée avec le psychiatre. Il nous racontait que la veille, la police était venu le voir entre ses deux quais. Maurice était ivre, comme à l'accoutumé, et dormait assis contre le mur. Jamais couché, nous expliquait-il car cela représentait la position du "mort". Maurice était tellement ivre qu'il n'était apparemment pas en mesure de répondre aux policiers. Seul son compagnon s'était manifesté. Il avait aboyé.

C'était un de ces chiens de petite taille dont la race semblait indéterminable. Maurice le recueilli alors que ses propriétaires l'abandonnaient au bord de la route, sans doute la veille d'un départ en vacance.
Devant le vacarme du cabot qui commençait a attirer l'attention des badauds, le plus jeune des policiers avait donné un coup de pied au cabot, le renvoyant illico dans ses pénates sans toucher terre. Son compte fut réglé pour de bon!

Quelques heures plus tard, lorsque Maurice eut retrouvé ses esprits, il vit son compagnon, inerte, raide, allongé la langue pendante dans la poussière des quais de la gare. Il se rappela alors le coup de pied donné au cabot par le policier et s'était juré de venger son chien.

Dans un élan de vengeance, le seul moyen d'attirer la police rapidement et sans trop forcer avait été d'agresser quelqu'un. Il était, ainsi, certain que devant tout le monde, une personne finirait bien par téléphoner aux forces de l'ordre. Conscient également qu'il ne faisait pas le poids devant les agents assermentés, il avait décidé de ne faire preuve d'aucune violence envers eux mais plutôt de leur pourrir le camion.

Ainsi, il avait vomit sur les sièges le litron de pinard ingurgité quelques minutes auparavant, avait uriné sur lui-même et sur la banquette par la même occasion et s'était fait des selles dessus pour finir. Tout ça dans un silence religieux et au grand dam des policiers, qui malgré les vitres ouvertes, ne supportaient plus l'odeur dans le camion.

Maurice sourit pour la première fois en notre présence. Il hocha la tête et éclata ensuite de rire, manquant de tomber de sa chaise.

Il était maintenant disposé à recevoir notre aide.



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