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Rue Gai-Lussac

Publié le 22 octobre 2008 par Unepageparjour

Début du Rosier de Julia

Rue Gai-Lussac. Rue Saint-Jacques. Une école en pierres blanches, grises de pluie. Le directeur accueillit la mère et la fille dans un bureau étriqué, à l’atmosphère pesante de tabac froid. Il s’agissait d’un homme rond, au costume froissé, avec un crâne chauve perlé de petites gouttes transparentes. Une moustache en brosse accompagnait les mouvements de ses lèvres pincées.

Madame, il est criminel, à mon sens, d’empêcher un enfant de bénéficier des larges bienfaits de la scolarisation. Il me semble, sans vouloir vous affliger, que votre démarche, disons, pourrait être qualifier, quelque peu, et si je peux me le permettre, d’entrave à la culture et à la socialisation ...

Julia n’écoutait pas ce bonhomme radoteur. Elle ressentait dans son cœur une grande souffrance. Il y avait dans la pièce comme le cri d’une personne qui était en train de mourir. Ses yeux parcouraient l’étroit réduit. Elle cherchait. Les appels douloureux devenaient presque insupportables. Elle s’était levée. Là-bas, derrière une armoire surchargée de dossiers sales et poussiéreux, un pauvre ficus agonisait, les racines étouffées dans un pot de terre aride, les feuilles jaunes, cassantes, abîmées par l’air trop sec et nauséabond de la pièce, les branches tordues par des semaines entières de misère.

Julia tirait de toutes ses forces sur le pot du ficus pour l’approcher de la fenêtre. Le directeur avait interrompu son long monologue d’invectives, et la regardait, hagard, sans comprendre.

Il lui faut de l’air, vous comprenez, disait-elle, du grand air ! Et de la lumière ! Une plante ne peut pas vivre en aveugle.

Elle ouvrait la fenêtre, battait les mains pour aérer la pauvre plante verte, écartait les rideaux noircis par les cigarettes. Puis elle écarquilla les yeux, sans bouger, la bouche serrée. Elle attendait qu’une larme s’en exsudât, sans ciller, sans aucun clignement des paupières. Alors, tout doucement, avec l’auriculaire, elle déposa cette perle magique sur le tronc du ficus. Les fentes du bois burent avec avidité. Déjà, un peu de vert courait autour des nervures des feuilles jaunes. Julia aperçut sur le bureau du directeur d’école une bouteille d’eau minérale, qu’elle vida sur la terre dure.

Il lui faut de l’eau, et de l’amour, poursuivait-elle, le regard lourd de reproches. Mais je crois qu’il survivra. Il est sauvé, maintenant.

Le directeur hochait la tête.

Une enfant jardinier, s’amusait-il, pourquoi pas ? Mais n’est-ce pas un peu trop vite cantonner tous les possibles dans un chemin bien étroit ?

Julia posa ses yeux sur les paperasseries qui s’entassaient sur le bureau. Un garçonnet habillé de vert semblait lui sourire. Elle prit le livre, l’ouvrit au hasard et en lut quelques lignes, d’une voix claire et emplie d’harmonie :

« Bonjour, dit-il. C'était un jardin fleuri de roses.
« Bonjour, dirent les roses. Le petit prince les regarda. Elles ressemblaient toutes à sa fleur.
« Qui êtes-vous ? leur demanda-t-il, stupéfait.
« Nous sommes des roses, dirent les roses.
« Ah! fit le petit prince...

Julia referma le livre.


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