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En maugréant

Publié le 23 octobre 2008 par Unepageparjour

Début du Rosier de Julia

En maugréant, le directeur admit Julia dans son école. Comme elle savait lire depuis longtemps, elle sauta deux classes et se retrouva avec des enfants beaucoup plus âgés qu’elle.

Au début, l’existence de Julia à l’école fut assez difficile. Ces gamins n’avaient aucune éducation. Les filles lui semblaient complètement idiotes, avec leurs minauderies perpétuelles et leur secret à la noix. Quant aux garçons, c’était peut-être pire encore. De parfaits abrutis pour la plupart, des brutes assoiffées de violences, qui ne savaient guère s’exprimer autrement que par les coups, laissant parfois échapper quelques cris qui n’avaient rien d’humain.

Mais Julia préférait encore la perplexité de cette ménagerie amusante que le climat pesant et suffocant de sa nouvelle maison. Elle ne voyait guère son père. Jeanne devenait l’ombre d’elle-même, pendue chaque jour des heures au téléphone avec sa sœur Anna, toujours à quémander des nouvelles de la « Maison du Bonheur ».

Au fil des semaines, comme une plante vivace s’armant de patience pour planter ses racines dans une terre rocailleuse, Julia s’ancrait dans sa vie d’écolière, imposant sa loi à ses aînés. Un jour qu’un garçon rouge et joufflu s’acharnait à vouloir asséner sur son joli visage ses gros poings de malotru, elle lui lança de toutes ses forces une gifle de son rosier. Feuilles et épines s’abattirent sur la face de son agresseur, qui poussa un cri de douleur, et se protégea, trop tard, derrière la paume de ses mains. Front, tempes, menton, nez, joues, lèvres. De fines écorchures parcouraient sa figure de toute part. Personne ne comprit d’où était parti le coup ; mais depuis ce jour, Julia put, assez librement, se livrer à ses occupations favorites pendant les heures de récréation : lire, penser, respirer, regarder les nuages, caresser les arbres de la cour, fouler de ses pieds nus la pelouse, s’allonger sur la terre humide, observer les merles noirs, écouter les fourmis qui dormaient sous la mousse, humer la rosée du matin exhalée par l’herbe fraîche, cligner des yeux dans les dernières lueurs du crépuscule, quand le soleil rouge inonde d’un souffle écarlate l’horizon de ses rêves.


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