Magazine Journal intime

Un peu d'humanité.

Publié le 24 octobre 2008 par Dan
Un peu d'humanité.

Il se présenta devant la porte automatique qui s'ouvrit et pénétra dans le hall avec nonchalance. Il ne fallait pas se faire repérer. Être naturel et n'exprimer aucun signe extérieur de stress.

A gauche et en face, personne. A droite, une multitude de gens. Tous assis et plus ou moins confortablement installés. Ne pas les regarder. Marcher. Il lui fallait rejoindre les escaliers. Ce n'était pas la première fois qu'il venait ici. Il connaissait les lieux par coeur et eut l'avantage de pouvoir se faufiler sans être intercepté.

3 étages à monter par les escaliers. C'est long. Il y a quelques temps de cela, il n'aurait jamais croisé personne dans les escaliers. Mais depuis la campagne "Mangez sept fruits et légumes par jours et faites trente minutes de sport quotidien", il avait remarqué que de plus en plus de personnes préféraient les marches aux ascenseurs. Tout ceci ne l'arrangeait pas mais il put tout de même atteindre le troisième étage sans trop de difficultés.

Tout semblait se passer comme prévu. Personne ne l'avait encore reconnu. Personne ne l'avait arrêté. Personne ne l'avait encore expulsé.

Maintenant, il fallait trouver une pièce déserte. C'est là que résidait toute la difficulté de sa mission. Il ne fallait pas paraître perdu. Il ne fallait pas montrer qu'il cherchait quelque chose. Il ne fallait pas hésiter. Il devait foncer et tomber juste! Rien ni personne ne devait l'interrompre. Comme seule arme à sa disposition, il bénéficiait de son expérience en la matière, qui lui avait appris à déjouer certains pièges.

Il repérait d'un coup d'oeil les pièces vides de celles qui étaient occupées. Il prit alors le couloir de droite. Des lumières clignotaient sur les portes. Il continua de marcher. Il tourna à gauche, croisa deux jolies femmes tout de blanc vêtues, les salua poliment. Il passa devant les ascenseurs et continua. Il ralentit le pas. Une allure trop rapide, conséquence de son stress n'aurait fait qu'éveiller les soupçons sur lui, pensa-t-il. Il prit alors le temps de saluer chaque personne croisée, une à une.

Il vit une porte entrouverte. Il jeta un oeil discrètement, après s'être assuré que personne ne le regardait. Il vit à l'intérieur un lit bien fait. Pas de chaussons au pied du lit. Pas de vêtements sur les chaises. La chambre paraissait déserte de l'extérieur. Il entra sans frapper avant de bien refermer la porte derrière lui.

Il se dirigea vers l'armoire. Il fallait être sûr qu'il n'y eut personne. On ne devait pas l'accuser de vol et on ne devait pas le déranger. Il poussa alors la porte coulissante de l'armoire et s'aperçut que les étagères étaient vides. Bingo! Lança-t-il à mi-voix.

Il
se réfugia dans la salle de bain au fond de la chambre et se déshabilla aussi vite qu'il put le faire. Nu comme un ver, il se glissa alors sous une bonne douche chaude et en profita pendant de longues minutes. Il se délassa, se décrotta, se savonna et prit même le temps de se laver les dents. Étant SDF depuis quelques années, il ne pouvait pas se payer le luxe de se doucher tous les jours. Néanmoins, il tenait de temps en temps à se laver. Où pouvait-il se laver plus facilement que dans une chambre de clinique? L'eau était chaude, pas d'agent de sécurité à l'entrée, une serviette, du savon, un lit pour se reposer...

Un autre homme sorti de la douche. Il était propre et souriant. Il fut prit d'une bonne humeur qui le poussa presque à siffloter Für Elise de Beethoven. C'était la chanson préférée de sa mère qui l'avait élevé seule pendant seize ans. Elle était très autoritaire. Leurs contacts se limitaient à "Bastien fait ceci! Bastien fait cela!". Elle était ensuite décédée d'un cancer du foie, certainement dûe à la quantité faramineuse d'alcool qu'elle ingurgitait quotidiennement. Bastien s'était alors retrouvé à devoir se débrouiller seul. C'est alors qu'il se mit à mendier. Un bruit le coupa net dans sa réflexion.

Quelqu'un venait. Il se réfugia dans la salle de bain.

Une personne habillée en blanc ouvrit la porte de la chambre qu'il pensait avoir laissé entrouverte.

C'était un homme en blouse blanche. Sans doute un infirmier. Il était nouveau venu dans le service et avait la manie de laisser les portes des chambres vides entrouvertes. Il repérait ainsi rapidement où mettre ses patients et ne passait pas son temps à chercher une piole vide.

D'un naturel râleur et ne voyant personne dans la chambre, il partit en maudissant la personne qui l'avait refermée.

Bastien ressortit de la salle de bain. Il poussa juste un peu la porte de la chambre pour être sûr qu'on ne put pas le voir. Il se dirigea vers le lit. S'allongea, nu. Mieux qu'une nuit sur des cartons, mieux qu'une nuit sur un matelas trouvé il y a une semaine dans une poubelle devant le comptoir Lafayette, mieux qu'une nuit dans le duvet de son amie, il put faire une sieste de quelques minutes dans un vrai lit. Le luxe!

A peine couché, il s'endormit tellement profondément qu'il n'entendit pas l'infirmier revenir, accompagné d'un patient cette fois. La porte de la chambre s'ouvrit pourtant brutalement. L'infirmier et le patient restèrent figés quelques secondes avant d'avoir un mouvement un recul synchronisé. L'infirmier regarda le numéro de la chambre. Non, non, il ne s'était pas trompé. Cette chambre était bien censée être vide et ce n'était pas le cas. Il demanda au patient d'aller en salle d'attente, le temps pour lui de régler cet imprévu.

Il fit claquer la porte de la chambre une deuxième fois mais bien plus brutalement que la première fois. Bastien sursauta. Nu comme un ver, il sauta hors du lit, attrapa ses vêtements et se rhabilla tant bien que mal. L'infirmier barra la porte et exigea des explications. Bastien bégaya, hésita, s'expliqua, s'excusa. Il était conscient du fait qu'il n'avait pas le droit d'être là mais il compta beaucoup sur la compréhension et la gentillesse de son interlocuteur pour s'en sortir à moindre frais.

Sans rajouter quoique ce soit, l'infirmier recula, pencha sa tête en arrière et à droite, puis à gauche et ne vit personne. Il s'écarta de la porte et Bastien put se faufiler hors de la chambre avant de joindre à nouveau les escaliers. Il le remercia une bonne dizaine de fois.

L'infirmier s'approcha de la fenêtre de la chambre et jeta un oeil dans la rue. Il vit Bastien sortir de la clinique et se diriger vers une poubelle.

La faim commençait à l'étreindre...

Un peu d'humanité.
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