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En grandissant

Publié le 24 octobre 2008 par Unepageparjour

Début du Rosier de Julia

En grandissant, le Jardin du Luxembourg, qui s’étendait au pied de sa rue, devenait son refuge de tous les instants. Elle s’y prélassait des heures, tantôt sur l’herbe grasse des pelouses humides, tantôt dissimulée dans l’ombre des bosquets d’épineux, à l’abri des reines de France, tristes et austères, qui hantent depuis des siècles ses allées boisées. Elle aimait poser ses joues sur le rebord de la fontaine Médicis, laissant traîner ses doigts sur la surface de l'onde avec nonchalance, les yeux fermés, permettant à son rosier de tremper quelques feuilles dans l’eau magique du vieux bassin, couvert de lentilles d’eau et d’insectes sauteurs et joyeux. Parfois, un passant, arrivé par hasard dans cet endroit reculé du jardin, s’arrêtait, étonné de croiser cette jeune nymphe en plein Paris, au visage si rose, à la figure si fraîche, aux cheveux fous, dont les yeux vert tendre lui faisait oublier chagrins passés, tristesses présentes et deuils futurs. Julia s’en amusait. Elle avait compris, avec le temps, que l’image de son rosier, fugace, traversait l’esprit des gens comme un rêve doux, une illusion pleine de soleil, en laissant sur leurs lèvres des sourires enchantés. Elle avait ce don créateur de vie, qui ressuscitait les arbres morts et les fleurs fanées, illuminait les regards et attendrissaient les cœurs les plus durs. Son seul regret était de constater qu’elle n’avait pas d’emprise sur sa propre famille. Son père se calcifiait dans une dureté desséchée, ombre minérale, qu’elle apercevait parfois, au détour d’un matin ou dans le virage du soir. Sa mère, petit fantôme éploré, malheureuse, perdait jour après jour ses vieux amis de la « Maison du Bonheur ». L’âne, d’abord, qui s’était enfui avec une jeune ânesse qui paissait dans un pré voisin. Puis toute la famille de paresseux, emmenée de force dans un zoo par un scientifique trop zélé. Les yacks et zébus, partis à leur tour pour rejoindre un cirque. Les perruches, envolées un matin d’avril, vers des contrées plus clémentes... Puis ce furent au tour des anciens de rejoindre leurs rêves, vers des ailleurs plein de lumières, sans doute, vers des voyages fabuleux, dont Julia savait qu’ils ne reviendraient pas, oubliant les amis restés ici. Papy Terreau lui laissait toujours une pensée, malgré tout, aussi légère que la petite plume de paon, qu’il arborait à son chapeau. Alors, Julia se réchauffait dans les câlins du soleil, s’ouvrait sous les baisers des brises d’été et des vents d’hiver, respirait l’humidité des pluies tièdes du printemps et s’ébrouait sous les rincées de l’automne, puis, retirant ses chaussures blanches, elle marchait sur la terre brune, bien à plat, laissant les petites mottes des bosquets chatouiller la plante de ses pieds.


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