Au début, on s'assoit sur le bureau et on parle de passions. Les yeux collégiaux s'ouvrent, plus intrigués par la fougue que par le contenu, usés qu'ils sont par l'usure. On ne se rend pas compte tout de suite qu'il mouillasse un brin, que déjà quelques gouttes minuscules tombent sur notre langue, une bruine de froide lucidité adolescente:
- C'est bien beau, mais à quoi ça sert?
- On peut faire de l'argent avec ça?
- Ça compte-tu?
Alors on renouvelle le contenant, on peaufine la métaphore, lisse la blague, mais on ne fait que modifier la mise en scène d'une pièce dont le propos n'intéresse personne. C'est ainsi que nos passions deviennent répétitions et que même sans rides, on devient aussi usés que les vieux de nos débuts, ces vieux auxquels on s'était pourtant juré de ne jamais ressembler.
On simplifie les concepts pour perdre le moins de gens possibles, on accepte que les étudiants comprennent à moitié, on se dit que 65% n'est pas si mal et on se surprend à bénir des temps anciens pourtant identiques, comme si on était meilleurs que ça.
Puis, alors qu'on ne l'attend plus, il y a cet étudiant qui sans mot dire, boit nos paroles, pose des questions pertinentes, finit ses travaux en moins de deux et, pour attendre le troupeau, en fait trois fois plus pour rien, pour le plaisir. Il n'est même pas boutonneux et a les cheveux propres en plus. Et, entre deux répétitions, alors que personne ne comprend rien à si peu, il nous souffle, un vague sourire aux lèvres et une petite étoile au fond de l'oeil, que visiblement, la matière dont on le nourrit manque de substance et qu'il aimerait bien en savoir plus.
La ligne se courbe, le flotteur rouge et blanc vient de disparaître sous la surface: ça mord!
Reste à ramener lentement vers soi, à tourner le moulinet sans rien brusquer afin de ne pas briser ce fil ténu entre la matière et lui.
Puis on se dit, malgré la pluie, qu'il y a des cours qu'il est bien de faire.