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Le Roi se meurt - Première partie

Publié le 28 août 2008 par Danielrondeau
Un soir, dans un impérieux désir d'ordre, j'ai ajouté le nom d'Alice dans mon carnet d'adresses. Nous étions devenus étrangers. Il m'a fallu lui donner son nom de famille, pour ne pas la confondre avec les deux autres du même prénom, lui coller une adresse qui n'était pas la mienne, un numéro que je ne retiendrais pas, surtout par coeur. J'ai alors compris qu'un jour, ce nom aurait aussi peu de sens que tous les autres que contenait le carnet. J'ai eu un léger vertige et un peu de poussière dans les yeux.
Je suis sorti et mes pas m'ont amené à l'Asile. Avec le temps, j'y étais devenu un habitué. Mon banc était devenu une tour et le bar, un royaume que j'empruntais le temps de boire quelques verres. Je pouvais rester des heures sans parler à personne, sauf à Alexandre, le barman. Mais encore, pas toujours. Alexandre savait reconnaître mes besoins de silence.
Comme on annonçait un orage et qu'on présentait un match de hockey primordial à la survie humaine à la télé, il n'y avait presque personne au bar. Ça m'allait. J'ai commandé un Macallan. Alexandre m'a servi un Macallan. La vie savait parfois se montrer simple.
J'ai souri en signe de remerciement. J'ai sorti mon petit verre à moutarde de ma poche de veste et j'y ai transvasé le scotch sous le regard faussement détaché d'Alexandre. Je n'avais jamais cru nécessaire de lui expliquer que ce petit verre à motif de jeu de cartes était le seul survivant de ma dernière rupture et que depuis, je m'avait pris le stupide pari de tout y boire, café, vin, lait, eau. Pendant ce temps, pour meubler le vide de notre conversation, Alexandre s'est aussi versé un verre. Nous avons porté un toast puis j'ai pris une gorgée. Toute petite. Un goût caramélisé a envahi mon palais.
- C'est un petit prince, ce scotch, m'a dit Alexandre après avoir inspiré entre ses dents.
Il s'est allumé une Gauloise d'un geste nonchalant, en regardant nulle part et partout d'un air détaché. Mais il était aux aguets, un sprinteur attendant le signal de départ. Je suis resté muet. J'avais un jour compris que moins j'en disais, moins on pouvait en retenir contre moi. Parler signifiait trop souvent traduire sa pensée. Tradutore, tradittore... Je préférais me faire oublier dans un coin et écouter. J'avouerais que parfois, je n'écoutais même pas.
Il a pris une autre bouffée de sa cigarette. Je n'ai jamais su comment certains fumeurs font pour aspirer par le nez la fumée qu'ils expirent par la bouche. J'ai pris une deuxième gorgée de scotch et je suis sorti de mon mutisme.
- Dans certaines régions d'Afrique, on dit de quelqu'un qui fume qu'il «boit une cigarette». C'est une belle image...
Alexandre a souri et a aspiré profondément un nuage qu'il a retenu dans ses poumons quelques secondes. Sa façon d'apprécier un dialogue qui démarrait enfin.

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