Il y a un an, les profs d'italien et de latin nous avaient proposé de participer à un concours qui s'adressait à tous les collèges de France. Un concours en deux parties : une sous forme de questionnaire culturel à propos de la Rome antique, et l'autre partie sous forme de sujet de rédaction, toujours à propos de la Rome antique. Comme c'était la fin d'année et que les conseils de classe étaient déjà bien loin pour tout le monde, il n'y eut pas grand monde à vouloir participer.
Pour tout dire, dans le collège, nous avons été deux : Agnès... et moi. Entre nous soit dit : il faut être fou pour participer à un concours avec Agnès quand on sait que le prix à la clé est un voyage d'une semaine à Rome pour les vingt lauréats qui auront été désignés, mais cette folie-là, je l'ai pourtant eue, et après un an d'attentes, de reports postaux divers et variés, et de péripéties rocambolesques et insignifiantes sans nul intérêt littéraire, j'avais reçu cette lettre tant attendue, qui stipulait noir sur blanc que j'avais terminé troisième du concours, et qu'ainsi, je remportais le titre de lauréat qualifié pour le voyage à Rome qui aura lieu aux vacances de Toussaint de l'année en cours.
" Whaou ! " j'avais fait. Voire même : " Hourra ! Je suis le meilleur, je suis le plus beau, le plus intelligent, j'ai le cul bordé de nouilles, j'ai d' la moule, personne ne peut être plus veinard que moi ! "
Sauf que, entre les lignes, il y avait dû avoir un truc d'écrit du genre : couronnement en pleine salle d'italien, prévu en cette fin d'année, devant toute la classe et les rires stupides des autres élèves moqueurs et jaloux de ne pas pouvoir être César à la place de César.
Ou plutôt Charlie à la place de Charlie.
Et maintenant, j'étais là, grandiose et debout sur ma chaise érigée en piédestal, une couronne de lauriers à l'odeur forte sur la tête et le petit peuple moqueur et jaloux aux abois là en bas, avec toujours ce dilemme intérieur terrible qui disait : " Alors ? T'es fier, ou t'as honte ? "
- Vous l'avez cueilli tout frais, Madame ? fit une voix.
- Tout frais de ce matin !
- ça sent fort, quand même...
- ça ne va pas durer : elle va sécher, et après, elle ne sentira plus !
- Ta mère, elle cuisine, Charlie ? Tu peux cuisiner quoi, avec du laurier ?
- Putain, tu sais quoi ? Pavarotti dans son costume d'opéra, c'est rien à côté du costume qu'elle t'a taillé, la prof d'italien !
- Hé ? Elle est amoureuse de toi, ou quoi ? T'as déjà couché avec elle, la prof ?
- Arrête de la remonter, Charlie, ça fait vraiment pitié, cette couronne de lauriers ! Elle ne s'en rend pas compte, qu'elle te fout la honte ?
- Bravissimo ! Hip hip hip, hourra pour Charlie ! s'exclamait Madame Claudine, folle de joie.
Marina m'adressa un regard plein de compassion et puis, constatant que j'étais à deux doigts de me mettre à pleurer malgré l'immensité de cet exploit, elle ne put s'empêcher de faire comme tous les autres, et elle éclata de rire.
Je me saisis sans plus attendre de mon trophée, et lui attribuai généreusement :
- Tu n'aurais pas pu te forcer un peu à le faire, ce concours, au lieu de profiter du soleil, toi ?
Madame Claudine lui arracha rapidement de la tête et me l'enfonça bien profondément sur le crâne :
- Ah non ! Les honneurs, ça se respecte, Charlie ! me gronda-t-elle. Quand on a su prouver à quel point on est un grand homme, il faut savoir se comporter comme tel !
Et c'est ainsi que je finis mon année de troisième, sans avoir pu faire quoi que ce soit pour retenir Marina avec moi. Penaud, ce nouveau bonnet d'âne sur la tête, j'étais bien triste de fêter une victoire pareille.
Pavarotti, quant à lui, en toile de fond sur le petit écran, il irradiait 1989 de toute sa beauté :
- Funiculi, funicula ! chantait-il.
Chanter, chanter... " Il y en a qui en ont de bonnes " pensais-je.
Mais certains destins sont faits pour être tus, et d'autres pour se mettre à chanter, et ce que j'ignorais, tout bonnement, c'était que ces destins-là ne s'adressent parfois qu'à une seule et même personne...