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Saison après saison

Publié le 25 octobre 2008 par Unepageparjour

Début du Rosier de Julia

Saison après saison, année après année, Julia domptait de mieux en mieux les éléments, permettant à son rosier de gagner en souplesse, en robustesse, en vigueur. Seules les roses lui manquaient encore. A chaque nouvel avril, elle guettait au bout des branches l’apparition inespérée des petits boutons prêts à éclore, mais ce n’était chaque fois que feuilles vertes, feuilles crénelées, feuilles souriantes de vie et de sèves, mais de fleurs à naître, point.
 
Accessoirement, Julia, riche de ses deux années d’avance, passa son bac à quinze ans et demi, mention très bien, félicitations des uns et des autres, empila deux années de classes préparatoires à Louis le Grand, à quelques pas de chez elle, et sortit major de sa promotion d’une grande école vétérinaire et horticole à moins de vingt et un ans. La classe ! Mais ces succès ne l’enthousiasmaient guère.
 
A l’adolescence, les transformations de son corps lui donnèrent l’occasion de comprendre les garçons et d’en effectuer un tri assez efficace. Du fait de son rosier, Julia fuyait avec ardeur les mains trop insistantes, les rendez-vous sans lendemain et les fêtes bruyantes. Elle se tournait naturellement vers les âmes romantiques, les défenseurs un peu désuets de l’amour courtois et des passions platoniques. Elle aimait marcher des heures, silencieuse, aux côtés d’un compagnon délicat, partageant l’illumination d’un coucher de soleil ou l’embrasement de l’aube. Elle aimait s’asseoir à deux, au bord de la Seine, en comptant les péniches et les bateaux mouches, saluant les touristes d’un petit geste de la main, la tête posée sur une épaule tranquille. Elle aimait s’installer sur la banquette profonde d’une brasserie des Grands Boulevards, devant un chocolat chaud ou un thé glacé, les yeux dans les yeux, en conversant des heures à propos de l’univers, des aurores boréales, du chant des cigales, de l’ombre des forêts, de l’amour des louves pour leurs enfants ... Elle aimait rire de tout, de rien, sans promettre, ni quémander, ni rien devoir en retour, main dans la main, en courant comme des fous en descendant le Boulevard Saint-Michel. Elle aimait, la nuit tombée, qu’on l’aidât à escalader la grille du Luxembourg. Elle sautait alors d’un bosquet à l’autre, coursant les chats et les mulots nocturnes, clignant de l’œil avec les hiboux et s’amusant à réveiller d’un bâton les vieilles carpes endormies du bassin. Et, toujours surprise, elle retrouvait son amoureux transi, comme elle l’avait laissé, au pied des barreaux de fer forgé, faisant le gué, craignant à chaque instant les escouades de police qui tournaient dans leur ronde. Elle aimait se faire raccompagner jusqu’à chez elle, une veste de jeune homme sur ses épaules nues, son rosier frissonnant dans les nuits parisiennes du Quartier Latin, et d’un bonsoir rieur, s’envoler sur la pointe des pieds jusqu’à son lit de jeune fille insouciante, emplie de rêves et de beautés, de fraîcheur et de vie.


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