Pleurler

Publié le 25 octobre 2008 par Thywanek
Vous vous souvenez, car vous avez de la mémoire, sinon ça serait moins commode, et que vous avez d’autant plus de mémoire que n’êtes pas encore tout à fait intégralement alzheimerisé, vous vous souvenez donc que jadis, ça devait être fin novembre de l’an de grâce de l’année dernière, notre extravagrifouillante* académie produisait un définitionnement** à tomber à la renverse du mot pleurire. Il paraît même qu’on continue à en causer dans certains cercles littéraires et dans tous le gotha escrivantain** qui pullule à la surface des mondes connus. C’est lunaire n’est-ce pas ?
Et bien voilà-t-il pas, peuples tétanisés par trop d’incrédulité dont la conversion est aussi facile que la recherche du fossile de son neurone dans le crâne d’une lectrice de Gala, que je m’en vais tout de go ré mi fa sol la si go vous définitionner le verbe pleurler.
Ah bon ! Vous entends-je vous exclamer.
Ben oui ! Réponds-je.
Et pourquoi ça ? Questionnez-vous, perplexe comme un chat devant une aiguille qui en a déjà un.
Ben, parce que tel et mon bon plaisir, tiens donc !
Et puis parce que voilà :
Récemment empêtré dans une houle insomniaque, je me promenais sur mon écran et sur les pages d’un fournisseur patenté de vidéos diverses. Tapant des sujets un peu au hasard je me mis à chercher ce qu’il y avait sur Barbara. Oui, vous vous en êtes aperçu, car vous êtes apercevants, je traverse une crise évidente de barbarisme en ce moment. Et je tombe sur une série de vidéos extraites de son supercalifragilistique*** spectacle à Pantin. Pas une nouveauté pour moi, je le connais par cœur, c’est le cas de le dire. Mais bon, je m’en mate quelques unes , et entre autres celles de sa supercalifragilistique chanson : perlimpimpin.
Et de quoi ne m’aperçois-je pas ? A un moment, ça je le savais, elle se plante dans un mot : elle doit dire parler, en fait, prise d’émotion sans doute, elle commence par dire pleurer et se rattrape au milieu du mot : et je n’avais jamais fait attention à ce que ça donne finalement : bah voilà, ça donne pleurler.
Evidemment, comme vous le devinez, car vous êtes globalement toutes et tous plus malins qu’un glapisseur matutinal de radio commerciale, mon instinct de définitionneur vira au rouge vif devant cette trouvaille.
Et donc je vous propose pour une fois un mot qui ne doit rien à mon génie inventif, rien à Greg, et rien à aucun autre contricipateur** dont certaines et certains ont pu légitimement garder le souvenir ému, et comme je les comprends.
Je vous propose rien moins qu’un mot inventé par Barbara : ça calme hein !?!
Donc :
Pleurler : v.t. ou i. de pleurer, action de manifester son émotion la moins gaie lorsqu’on a totalement dépassé ses capacités d’humour à l’audition des consternantes interventions de Madame Christine Lagarde, et de parler, action consistant notamment pour un leader socialiste à dire un peu tout et n’importe quoi pour assurer la continuité de sa survivance médiatique.
Pleurler signifie faire parler ses pleurs au lieu d’en faire de vaines répansions* à grand renfort de braillements, de chuintements, de sanglots étranglés, de grincements agaçants, accessoirement de morve au nez, et quelquefois de larmes dans les yeux. Cette double action requiert néanmoins une égale capacité à pleurer et à parler. Pour ce qui est de la première rappelons qu’on en parfera mieux et de plus riche manière son apprentissage en étudiant Baudelaire et Aragon qu’en s’engluant les tympans avec des sirupeuses productions de type laurent-voulzesques : il y a des valeurs sures et il y a des choses sures sans valeur. Faut savoir distinguer les deux. Afin d’user de la fonction pleuratoire avec pertinence on optera de même plus utilement pour une cueillette de beauté d’âme dans un roman de Monsieur Modiano que dans une compilation épaissie d’ennui du genre bernard-henri-lévitée. On gagnera itou à cultiver ses dispositions émotives lacrymales en écoutant une fantaisie de Shubert ou une sonate pour violoncelle de Bach, surtout si elle est jouée par Casals, Rostropovitch ou Yo Yo Ma, qu’en se repaissant du best-of d’une couineuse de arènebi, attachée à faire croire qu’elle chante en remuant ses fesses alors qu’elle bouge son cul en tentant hypocritement de faire diversion avec sa bouche.
D’une manière plus générale on s’augmentera toujours d’une plus solide fragilité humaine en regardant la vraie vie plutôt qu’en se branlant le nœud dans la gorge en se mirant dans des mircrans*.
Pour ce qui est de parler, c’est plus compliqué, et en même temps plus simple. On parle souvent plus facilement qu’on ne pleure. On est amené à se demander si ce déséquilibre est bien raisonnable. Tout le monde parle, vous avez observé ça ? Moi-même, et bien que je répugne à trop évoquer ma misérable personne dans ces pages que la réserve hante et que la pudeur habite, je dois confesser, (donc en un seul mot, merci), que mon avarice en parole est un mythe aussi sûrement établi que celui de la déontologie chez un journaliste de TF1. Donc on parle. Ca c’est sur. De tout, de rien, plus fréquemment du second. Parce que je ne sais pas si vous avez remarqué, vous qui êtes si remarquants, qu’on parle beaucoup pour se contenir. On parle conventionnellement. On parle pour se déguiser. On parle pour mimer, ce qui est un comble attendu que le mime lui doit rester muet, sinon ce n’est plus un mime. On parle pour l’autre aussi, et souvent contre. On parle pour la forme. Pas pour le fond. On parle pour occuper, pour envahir, pour exister, faute de mieux. On parle pour ne pas s’émouvoir. A un type qui, il y a quelques temps, m’apostrophait sur un forum politique et me reprochait de mettre trop de sensibilité dans mes propos, ce qui à son sens nuisait aux qualités requises par un argument sain, je répliquais que rien au monde ne me ferait changer d’attitude. Y compris lorsque je parle politique. Maintenant que ce mot, dont il est question dans cet article, peut rentrer dans mon usage en attendant que cet usage se répande, je lui répondrais, à ce monsieur, que je pleurlerais autant que je veux.
Et les raisons de pleurler ne manquent pas : parmi les 259672 sujets que je peux appréhender à l’œil nu autour de moi je n’ai qu’à piocher au hasard. Et hop, j’en choppe un. Je déplie le petit papier devant l’assemblée suspendue aux lèvres du clavier des doigts de mon stylo : le lauréat est : ce jeune garçon enfermé dans la prison de Metz qui s’est suicidé dans sa cellule il y a quelques jours. Il avait seize ans.
Allez vas-y ma grande, chante, je t’en prie, chante !

barbara - perlinpinpin
envoyé par bisonravi1987
* C’est dans l’dico !
** Ca y est pas encore et je sais pas quand ça y sera ! La la la …
*** Voir le Dico de Mary Poppins ! La la lère …