Magazine Journal intime
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Publié le 25 octobre 2008 par ThywanekCa ne pensait pas. Ca ne pensait plus ; que cela reviendrait ; que cela reviendrait avec la même force que déjà c’était, autrefois, autrement, venu.
S’imagine-t-on guéri de ça. Qu’une fois vécu, maladie dont on aurait pu mourir, vraiment mourir, bien que demeurant vivant, qu’une fois traversée, et ayant cru se noyer mille fois, avec horreur, avec délice, avec horreur et délice, cela puisse nous reprendre, et comme si rien ou presque ne nous en était connu, nous saisir, installer, réinstaller, inexorablement sa dévastation.
Ce que l’expérience vécue précédemment produit c’est qu’on sent mieux, plus précisément, les alchimies qui se manifestent ; on est incapable de maîtriser, mais on les suit avec quelquefois, si on parvient à circonscrire avec de la lucidité, la pression qui s’exerce en soi, une curiosité inédite.
Le thorax vide, vide même de tout air respirable, et dans sa cage sombre aux odeurs de sang et de mucus collés aux parois, aux barreaux, par la force d’un gonflement paradoxal augmentant l’espace du vide pour n’y mettre que ça, le cœur qui se balance imperceptiblement au bout d’un fil de verre dans un vilain son de cristal étranglé par une étoffe de soi. Oui, sans e.
Le crane, boule de bois creuse aux hublots rivetés, bouche hermétiquement ouverte, oreilles tendues aux échos muets d’une nuit de fond de ville dégoulinante, dans lequel flotte parmi les neurones d’un bocal abyssal, l’idée d’un cerveau dont toute l’économie s’occupe autant de ne pouvoir renoncer à vivre et à ce gouffre, que de chercher les moyens d’échapper à cette vie là, et à ce gouffre..
Singe malicieux, joli comme une peluche de foire, agile comme un enfant de cirque, doux comme le sable noir des volcans, et méchant comme un renoncement à pleurer, le senti ne ment pas ; il devient, où qu’il soit dans le corps, tout le corps. Inconsistance, atonie, là où il n’est pas, essoufflement, arythmie, là où il passe, oppression, torsion, là où il s’arrête.
Les bruits, les parfums, ce qui brûle et ce qui embrume, ce qui plie et recroqueville, ce qui teinte le visage, la voix et la fibre des heures, myriades absconses, ce qui compte goutte à goutte les mots, ahuris de vacuité, du quotidien qui continue, guichetier métronome, officiant immuable, ce qui fait angle de toute part et où se frotte la chair amaigrie dans un pauvre manteau blanc contre la crasse redevenue le sable infect qui s’écoule.
La douce et redoutable présence des êtres chers qui s’inquiètent et qu’on a rien pour rassurer, plus la moindre pièce, la moindre valeur ; la ronde imperturbée des autres qui bousculent même de loin, qui ennuient même intéressants, qui fatiguent ; chaque main posé du « ça va bien » désole le peu de respiration qui persiste ; chaque drôlerie, petit encouragement à endurer la banalité qui nous tient en premier recours, arrache à la mâchoire un rictus de participation, effort inouï à débit limité.
Les objets s’échappent entre les doigts ; on voudrait ne plus rien avoir à tenir ; un banc perdu sur un boulevard d’hivers ferait juste mieux l’affaire que tous les avions du monde. On se sent une parenté avec certains fruits qu’on laisse dans une corbeille et qu’on oublie, et qui ne pourrissent pas, rappelant leurs présences par l’odeur des moisissures, qui dessèchent seulement, durcissent, se transforment en cailloux, dont pourrait s’emparer une bande de gosses pour jouer à la marelle.
Et il y a ce grondement au fond du puit ; roue d’acier d’un charroi de pierre roulant sur les pavés d’une route hors plan, au travers de prairies déshabillées qui surnagent dans le vent.
Il y a ce lendemain des mots que voilà, auxquels s’ajouteront les mots de son lendemain, et d’autres, d’autres encore, et encore d’autres, rivières danaïdes.
Cette transparence aveugle où se fondent toutes les fenêtres, les grilles des parcs, les surfaces des étangs, les rues, toutes les rues.
Le regret ingrats qui gratte à la porte.
La sale petite pourriture de mort qui renifle par dessous.
S’asseoir dans un grand fauteuil de bois, une salamandre glacée dans une main et un sort acéré dans l’autre.
S’asseoir au milieu de murs en ruines d’une quelconque vieille bâtisse et y confondre tous les courants d’air avec son bouleversement ; et que soit balayée de ces vents les tourbillons de souffre.
Sentir s’en aller de soi cette barbarie dégoûtante de boue. S’asseoir dans un torrent de colère surgi des rochers noirs, et se laver de cette courbure gluante qui met le front à hauteur des genoux.
Chasser les chimères de cette solitude grandie d’un inexistant, s’asseoir à la proue d’une machine infernale et les déchiqueter en y prenant le plaisir du diable à détruire du merveilleux presque complice.
Voler aux hyènes leur phénomène maxillaire pour exploser les anneaux sur les dalles où sont retenues les poids qui clouent au sol.
Découper le ciel d’un coup magistral d’une épée gigantesque et vomir tout ce qu’il est possible dans cette plaie imbécile.
La gueule dans la poussière, prier qui voudrait entendre, mais qui, de racheter son être qui ne vaut pas plus contre une amputation.
Dans la ville ordinaire, traîne, pratiquement l’air de rien, l’air complètement vivant, un corps intérieur difforme, et va d’un jour à l’autre, d’une nuit, enfouie dans la suivante, avec ce gnome en soi.
Lui. Qu’il peut regarder à quelques centimètres de son visage.
Lui.
Là.
Dans une porte creusée, embrasure emplie de lueurs pâles et mouvantes. Il y a si peu en temps qu’il le sait ; et tant paraît-il qu’il le connaît. Aucune colère ne tiendrait contre lui cette distance ou il se sauve, lui qui craint si peu.
Insupportable miroir.