Note 118

Publié le 26 octobre 2008 par Frédéric Romano

- Moi : On me reproche tout le temps de me taire.
- Elle : Mais tu n’as qu’à parler !?
- Moi : C’est simple à dire, je n’y arrive pas…
- Elle : Hé bien écris alors !?

Marguerite a les cheveux gris attachés en chignon, imposant et négligé. Elle s’assied de temps en temps dans ce petit fauteuil jaune canari qu’elle a récupéré en vidant un appartement, il y a maintenant trois ans. Elle a quarante-huit ans et le physique d’une mère de famille, un visage un peu trop usé, un air parfois légèrement aigri. Pour tuer les heures des dimanches après-midi, elle feuillette ce même carnet bleu à la couverture sale et au pages cornées. Elle y parcoure les cent dix-huit notes. Elle connaît par cœur la plupart de celles-ci mais n’arrive pas à trouver l’intonation pour lire la dernière. Sans doute elle ne la comprendra jamais complètement…

On y a tous déjà pensé, un matin, en se réveillant. Si cette journée était la dernière ? Si, dans moins de vingt-quatre heures, je n’étais plus là ? S’il n’y avait plus rien au bout du jour, juste une dernière nuit, éternelle cette fois ? J’y songe quotidiennement, presque par réflexe. Le fait est que je n’aime plus la vie, et que l’évocation de cette fin prend chez moi des airs d’espérance. Je ne l’ai jamais dit à personne - parce que ce genre de choses ne se dit pas - mais je trouverais plus simple d’en rester là, d’en finir aujourd’hui. Je reste pourtant malgré tout accroché à ce stupide fil. Je ne fais rien pour m’en détacher, parce que je suis faible, peut-être un peu lâche, et il continue à me relier au monde comme la corde relie le pendu à l’arbre. Je suis vivant mais tellement mort…“.

Marguerite ne peut plus pleurer, elle n’y arrive pas. Elle a le souvenir de ce jour, celui où elle le découvrit gisant dans sa baignoire, les cheveux flottant dans l’eau rose. Qu’aurait-elle bien pu faire d’autre qu’accepter ?

Un rapide calcule lui fait conclure qu’il aurait eu aujourd’hui vingt-trois ans…