Ca fait mal.

Publié le 26 octobre 2008 par Dan

Il avait eu huit ans quelques semaines auparavant. Un anniversaire banal avec un gâteau banal acheté à la va-vite. Rien d'extraordinaire. Ou presque.
Elle était rouge, brillante, aussi longue que son bras et aussi rapide que le vent. Il l'avait découverte le jour de son anniversaire dans un carton aux couleurs bariolées avec un gros noeud rouge. Ses parents lui avaient offerts une voiture téléguidée. Il n'avait pas beaucoup de cadeaux mais lorsqu'il avait la joie d'en découvrir un, il pouvait jouer avec, pendant des heures. Sans doute parce qu'il n'avait ni frère, ni soeur. Sans doute parce que ses parents ne jouaient pas avec lui. Sans doute parce qu'il n'avait pas beaucoup de copains. Sans doute parce qu'il habitait à la campagne. Sans doute parce qu'il s'ennuyait.
Les semaines passèrent et le petit garçon jouait toujours autant avec sa voiture. Il ne se lassait jamais. Si bien que les accrochages au sujet des devoirs étaient inévitables.
Il rentra de l'école un mardi. S'installa à la table de la cuisine et commença par avaler un verre de ce lait qui venait de la ferme voisine. Sa maman cuisinait derrière lui. Elle préparait le repas d'un papa qui rentrait tard.
Épuisé par sa solitude, le minot se leva et prit la télécommande de la voiture pour jouer, seul. Sa maman n'y prêta d'abord aucune attention puis vint le disputer pour une énième fois au sujet des devoirs. Las d'entendre des remarques du style "tu ne feras jamais rien de ta vie, tu n'es qu'un bon à rien..." il finit par se résoudre à ouvrir son cartable.
Tout d'abord, il posa la voiture rutilante sur un coin de la table où il travaillait. Entre deux lignes d'écriture, entre deux additions, il la regardait. Elle semblait lui dire: "Travailles vite et bien! Dépêches-toi!! Je t'attends pour jouer!!" Il se concentra alors au maximum sur ses devoirs.
Une heure plus tard la voiture commença à avoir raison de sa concentration. Il la regardait de plus en plus. Si bien que sa maman s'énerva pour la énième fois. Elle le menaça de tout et de rien.
La porte claqua.
Son père entra. Il revenait d'une de ses journées toujours plus difficile les unes que les autres. Il rentrait souvent de mauvaise humeur et son arrivée jetait souvent un froid dans la pièce où il pénétrait. Il vit son épouse en colère et demanda expressément des explications.
Le petit minot enfonça sa tête dans ses épaules et reprit son stylo sans ne rien dire.
Sa maman expliqua les problèmes de concentration de son fils. Son époux se mit alors dans une colère noire. Il se mit à crier sur l'enfant. A le menacer de gifles. A lui dire qu'il ne ferait jamais rien de sa vie et qu'il resterait toute sa vie un cancre chômeur, parasite de la société.
Le minot, comme toujours dans ces cas-là l'ignorait. Il ne répondait pas car il savait que quoiqu'il dise, ça ne ferait qu'envenimer la situation. Il baissa les yeux, soumis, et encaissa tous ce qu'on pouvait lui balancer jusqu'au moment où son père excédé par l'ignorance que lui portait son fils fit claquer le poing sur la table.
Tout le monde sursauta.
Le poing de son père venait de s'abattre sur la voiture du petit, devant ses yeux stupéfait. Un coup d'une violence pareille fit littéralement exploser le jouet. Les quatre roues se détachèrent. Le toit s'enfonça jusqu'au plancher. Des morceaux de plastiques jonchaient la table, ça et là. Les réactions furent diverses.
Le petit se mit à pleurer. Le père ricana et lança un: "Maintenant tu vas travailler!". La mère leva les yeux vers le père et lui dit: "Tu es fou? Tu sais combien ça coûte un jouet pareil?"
Il n'en fallut pas davantage pour que la mère s'énerve contre le père au sujet de ce gaspillage. Le tout, rythmé par les pleurs de l'enfant qui finit par partir au lit se coucher, comme pour faire le deuil de sa rutilante amie, oublier ce qui venait de se passer ou pour avoir la joie de se réveiller le lendemain en se disant:
Et si tout cela, n'était au fond, qu'un cauchemar...