Ceux qui observent les migrations

Publié le 28 octobre 2008 par Jlk

 Celui qui prononce les noms de Heidegger et de Derrida pour bien marquer le territoire sur lequel il accueille ses nouveaux étudiants à jeans leur tombant sur le cul / Celle qui ne sait pas que Stendhal s’écrit avec h et Beyle avec y et que son prof trouve d’autant plus cool / Ceux qui ne savent pas où chercher le bonheur / Celui qui note sur ses bretelles les prénoms de ses nouvelles conquêtes / Celle qui n’a plus disséqué de goitreux après 1957 / Ceux qui lisent De l’amour avec la nouvelle prof eurasienne / Celui qui prétend que son rapport à la finitude a changé depuis que Gilberte est entrée dans sa vie / Celle que le besoin de se réinitialiser (selon son expression) contraint à changer souvent de partenaire et de voiture / Ceux qui citent par cœur les articles qu’ils ont publiés il y a tant d’années déjà / Celui qui se croit toujours le meilleur coup de la paroisse / Celle qui sait que ce n’est plus lui mais le nouveau pasteur / Ceux qui s’agglutinent dans le bar gay sans se douter que le détonateur de la bombe qu’un employé homophobe de la mairie y a déposée a finalement merdé / Celui qui estime que Vienne n’a jamais su reconnaître son talent de violoniste du fait de son origine sénégalaise / Celle qu’une émotion enfantine a saisie à la découverte du Chardonneret de Carel Fabritius / Ceux qui négocient le prix d’un ange de bois polychrome de la fin du XVIIe avec un marchand ignare que leur excès d’intérêt pour cette bricole commence d’intriguer un max / Celui qui se peint les ongles en vert en souvenir d’Andy Warhol / Celle qui écoute L’Amérique de Joe Dassin dans son studio mal chauffé du Quartier rouge / Ceux qui ont l’intention de dynamiter la nouvelle éolienne de leurs voisins Van Wetering dont les journaux ont trop parlé, etc.

Carel Fabritius, Le Chardonneret. Mauritshuis, La Haye.