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Elle dansait

Publié le 28 octobre 2008 par Unepageparjour

Début du Rosier de Julia

Elle dansait, une danse sauvage. La plante de ses pieds frappait les flaques comme la peau tendue des tambours. Elle chantait, un chant farouche sorti du fond des âges, qui se mêlait aux échos du tonnerre. Elle tapait dans ses mains, sur ses cuisses, toujours plus fort, au fur et à mesure que les ruisseaux de pluie qui l’envahissaient devenaient fleuves, au fur et à mesure que les fleuves s’enhardissaient en océans indomptables, soulevés de vents énormes et de vagues géantes. Julia devenait eau. Son corps devenait terre. Son rosier était forêt.
 
Julia hurlait. Un cri unique. Un cri de cristal, dont les résonances jaillissaient dans la vibration des averses. Elle courait, bras ouverts, gorge offerte, accueillant dans sa bouche la pluie en cascade, et s’abreuvait de ses masses liquides, pour enfin satisfaire le gouffre terrible qui s’était construit au plus profond d’elle-même. Julia redevenait vivante. Julia était la vie. Elle entendait gronder en elle les flots impétueux d’un sang nouveau, jeune, une sève en fusion, qui la transportait dans des élans de joie primitive. Son cœur généreux martelait son corps régénéré, à l’unisson de l’assaut des  gouttes qui martelaient les trottoirs.

Comme un cheval fou, Julia, dans sa course effrénée, s’ébrouait, secouait sa chevelure ruisselante, agitait les branches et les feuilles de son rosier. Jamais, elle ne s’était sentie aussi forte, aussi puissante, aussi vivante, aussi belle aussi. Elle s’amusait à se regarder courir dans les devantures des magasins. Son reflet étrange passait d’une boutique à l’autre, évanescent, argenté, humide. Sa chemise de nuit blanche, bien indécente, trop courte, trempée la faisait rire. Elle s’amusait à lancer les branches de son rosier très haut vers le ciel, puis à le rétracter, très vite, ses épines lacérant à chaque passage sa pauvre chemise, qui, à force de pluie et de déchirure, se transforma bientôt en guenille.

Puis Julia s’arrêta. Constatant les dégâts, elle se dit à mi-voix, se souriant à elle-même, qu’il était peut être temps de rentrer à la maison, au moins pour se changer, avant qu’elle ne croisât quelque personne mal intentionnée, que son apparence légère pourrait amener à quelques actes malheureux.  

Elle s’en revenait chez elle quand, soudain, elle sentit sur son épaule une main, une main d’homme, large et puissante.


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