J'CAILLE
Même s'il faisait froid, mes mains me sortaient des manches, pendantes et givrées, tandis que mon corps tout entier tourné vers les rails attendait la
rame.
Les trams n'arrivent pas à l'heure.
C'est comme une règle, une loi, un édit entendu, il n'y a pas de carriole qui soit en face de l'arrêt quand elle le devrait.
Et tu patientes comme un charmant passager du bonheur, tu te dis qu'une ou deux minutes à rester planté là ne ternirai pas de trop ton image de marque.
J'aurai pu attendre ainsi, une cigarette à la main, l'air désinvolte et curieux.
Seulement, je ne fume pas.
Encore aurai-je pu m'extasier des volutes blanches qui s'échappent de ma bouche maintenant que novembre approche. Mais je suis malade depuis quelques jours et sans envie particulière de
m'émerveiller pour ces choses qui m'auraient tentée il y a de ça une semaine.
C'est quand l'engin arrive crissant dans le matin, les têtes des gens bombées par les hublots, que je monte dans l'aquarium de ferraille sans grande conviction.
Bien que je l'eusse attendu plus de 10 minutes.
Bien que je sois à la limite du retard.
Les transports en commun sont un grand départ vers le rien, où se cotoîent les gens insipides, ceux qui reniflent et frottent leur nez, ceux qui toussent sur votre figure. Il y a toujours le même
dépôt de vie, de l'enfant qui gueule, à la vieille qui rouspète pour qu'on la laisse s'asseoir. Comme le pervers allumé, cramponné à la barre jaune et luisante, jetant des regards évidents aux
jeunes filles qui pouffent.
Les poufs tiens, et les classes, les costards à valises qui rêvent d'une BM qui gère, pour ne plus avoir à prendre les lombrics, la carcasse de l'animal, nous bouffant chaque jour, pour nous
rejeter à notre destination.
Et même si l'on arrive quelque part, on ne sait jamais bien d'où l'on vient.
Parce que c'est monotone et abrutissant que de prendre le tram le matin,
entouré mais relativement exclu de la masse mouvante des gens.