Dimanche, c'était réunion de famille chez mon Mystérieux Inconnu. Ces charmants repas sont toujours l'occasion de prendre des nouvelles des uns et des autres (ils sont très très nombreux, dans cette tribu...) et de poser la question fatidique : "Alors, qu'est-ce que tu deviens, toi ?". Argl. C'est là qu'on a intérêt à être devenu quelque chose ! Oui. Et surtout, à être devenu quelque chose qui puisse nous épargner quelques sarcasmes. Ce qui, je le devine, vu la tournure que prend cette conversation, n'est pas ton cas... Valaaa !
Après avoir essuyé quelques plaisanteries bien grasses de la part de l'oncle de mon Mystérieux Inconnu (le mot "maîtresse" doit être trop tentant... Ca doit être ça !), nous discutons Ecole et vacances. Et là... Ca se gâte ! Oh, en apparence, pas du tout. Parce que moi, Monsieur, je garde mon sang-froid et mon sourire et je conserve protestations et vociférations en mon for intérieur. Du coup... Du coup ? Du coup, quand les cousins se sont ligués contre moi pour laisser sous-entendre (comme beaucoup de gens, malheureusement...) que les enseignants ne font rien et sont toujours en vacances, j'ai gardé pour moi cette réplique assassine : "Ah oui ? En tous cas, j'ai un métier, ce qui n'est pas votre cas.". Ah... Il me semble que tu as bien fait de te taire... Tu aurais pu te ramasser une assiette en pleine figure et détériorer tes relations avec ta belle-famille ! Oui. Restons prudent.
Bon. C'est vrai que cela peut écoeurer de savoir que je reprends début septembre, quand certains rament pour obtenir une semaine de congés. J'avoue qu'objectivement, cela peut paraître disproportionné... Cependant, j'ai remarqué que les stéréotypes vont toujours bon train : les phrases à l'emporte-pièce du type "Vous, les enseignants, vous ne fichez rien !" sont malheureusement toujours d'actualité, et je t'épargne, bien sûr, les misérables poncifs sur les fonctionnaires, élus boucs émissaires. Au contraire ! Ne me les épargne pas, Mirabelle ! J'aimerais bien comprendre comment marchent les mentalités de votre siècle... Très bien. Alors pour résumer, sache, mon cher Victor, que, bien que les rôles des fonctionnaires soient divers et variés, la réputation qui les suit n'est pas très reluisante : il n'est pas rare d'entendre ici ou là que les fonctionnaires sont payés à rien foutre. Et puis c'est bien connu, le boulot de fonctionnaire n'est pas compliqué, il suffit de savoir rester le cul sur une chaise. Ah... Tout cela m'a l'air de manquer singulièrement de nuances...
Alors c'est vrai, quand j'entends, dans la famille de mon Mystérieux Inconnu, qu'on sait presque mieux que moi en quoi consiste mon métier ("Allez, Mirabelle, c'est que des gamins que tu as en face de toi, c'est pas compliqué !"), mon sang ne fait bien évidemment qu'un tour. Je sais désormais qu'il y a des discussions à éviter avec ma belle-maman (en particulier la tournure que prend l'Education Nationale sous notre cher Président de la République...) si je ne veux pas finir en tapant du poing sur la table pour défendre mon métier. Enfin bon... Pour être tout à fait honnête... Oui ? Je suis moins tranchée qu'il n'y paraît. Ah bon ?
Oui. Parce que quand j'entends des enseignants se plaindre de leur métier (jusqu'à affirmer qu'ils font le pire métier du monde...) et râler parce que les vacances passent trop vite, j'ai envie de leur dire de regarder un peu en dessous d'eux. Ma mère, infirmière, rame pour avoir des vacances. Elle commence très tôt le matin et finit très tard le soir. Elle fait des nuits à un an de la retraite, elle est complètement épuisée. Ma soeur, même en job d'été, se tue au travail de 8 h à 20 h, en étant payée des clopinettes. Ma grand-mère s'est échinée dans les usines et y a laissé sa santé. Des exemples comme ceux-ci, on en trouve à la pelle. Alors non, franchement, je ne crois pas que nous, enseignants, soyons à plaindre. Bien sûr, je ne dis pas que tout est parfait, mais je persiste à croire qu'il est encore possible de nous réserver des plages de temps libre, de réels moments de repos. Soyons conscients de cela et restons modestes, sans trop étaler nos chances, sans tomber dans l'indécence, sans quoi les sarcasmes qui nous affectent parfois pourraient bien s'avérer justifiés un jour, du moins en partie.