La guerre des Rose

Publié le 31 octobre 2008 par Corcky

Savais-tu qu'en journalisme, un sujet récurrent qui fournit à intervalle régulier une information le plus souvent simpliste voire mièvre en période creuse (c'est-à-dire hors génocide africain, guerre d'Irak et attentats à la bombe), s'appelle un "marronnier"?


Comme l'arbre, oui, qui produit chaque année son lot de petites boules brunes qui ressemblent étrangement à des productions fécales durcies par le gel. D'ailleurs, le marronnier journalistique, lui aussi, rappelle furieusement un étron défraîchi, j'en veux pour preuve les plus connus d'entre eux, ceux qui refleurissent d'avril à novembre, et dont les titres fleurent bon le poujadisme et la démagogie la plus crasse: "Francs-Maçons, histoire secrète", "Cancer: ce que l'on vous cache" ou encore "Pourquoi la France sera la prochaine cible d'Al Qaïda".

En termes de petits cacas journalistiques, récemment, nous avons eu la rentrée littéraire (et son best-seller "J'irai cracher sur Nothomb"), le passage à l'heure d'hiver, la hausse des prix, et nous abordons tout doucement la période pendant laquelle on va t'expliquer que les SDF commencent à mourir de froid dans les rues, la faute à pas de chance et à cette météo complètement détraquée par le réchauffement climatique (il ne viendra à l'idée d'aucun professionnel de la presse de faire ouvertement le rapprochement entre la politique économique et sociale des gouvernements depuis des décennies, la crise et le nombre de sans-abri, puisque chacun sait que ça n'a aucun rapport).

Eh bien, ami lecteur, c'est d'un marronnier de ce genre que je souhaite t'entretenir aujourd'hui, vu que l'année dernière à la même époque, je t'avais déjà fait le coup (d'où l'attrait particulier que le marronnier exerce sur le journaleux: faire un papier de merde à moindres frais, c'est toujours tentant et ça évite d'aller se faire griller les miches à Gaza ou au Kivu).

Tout commence, donc, avec l'arrivée des premiers souffles de froid.

Chaque année, à cette époque, le Nid Douillet se transforme, lentement mais sûrement, en champ de bataille.
Oh, rien d'ouvert et de violent, pas d'assiettes qui volent, d'insultes qui fusent, rien de ce genre.
Non.
C'est beaucoup plus sournois.

Si tu mets deux filles dans le même appartement, amuse-toi à les choisir suffisamment opposées dans leur fonctionnement biologique de base pour être sûr de déclencher un conflit larvé qui fera les délices du voisinage jusqu'à l'arrivée du printemps (une saison qui, elle aussi, comporte son lot de "marronniers", comme les régimes minceur, le muguet ou l'hypothétique grossesse de la dinde élyséenne, Dieu nous en préserve).

Prends ma femme, par exemple.

Sportive, voire athlétique, capable d'enchaîner les longueurs de piscine à l'aube, elle n'hésite pas à enfourcher son VTT de bon matin pour aller se faire quarante kilomètres au Bois de Vincennes, sans parler de ses vacances annuelles sur les hauts plateaux désertiques de l'Atlas ou bien au fin fond de la jungle de Madagascar, où elle pratique assidûment le trek intensif au milieu des serpents et des scorpions.
Elle ne fume pas, boit raisonnablement et croit dur comme fer aux vertus des céréales complètes et des fruits et légumes.

Mens sana in corpore sano.

Prends ensuite une emmerdeuse de base.

Flemmarde, voire avachie comme une molle éponge décérébrée, capable d'enchaîner les heures devant sa console de jeu au fond du canapé, voyant dans le vélo un instrument de torture médiéval qui surclasse le pilori en terme de cruauté, ancienne  fumeuse invétérée, grande buveuse de rhum cubain et de vodka russe, elle a du mal à dire "non" à la malbouffe hypercalorique et trouve que les céréales complètes, ça ne vaut pas un bon gros pancake dégoulinant de sirop d'érable.

Mens sauna in corpore salaud.


Eh bien, que se passe-t-il quand vient l'hiver?

L'une, adepte des environnements sains et de l'écologie appliquée au quotidien (voire de  la décroissance active), tourne les bouchons de radiateur jusqu'à leur strict minimum, histoire de ne diffuser qu'une vague tiédeur, qu'elle estime suffisante à la survie saisonnière de sa petite famille, des plantes vertes et des acariens de la maison.

L'autre, aussi frileuse qu'un paresseux d'Amazonie, tourne les bouchons de radiateur vers "pleine puissance", histoire de diffuser une douce chaleur tropicale dans la maison, chaleur qu'elle estime vitale pour sa propre survie de citadine post-moderne, ainsi que pour la subsistance du morpion hystérique qui lui sert de fille, et pour celle de l'otarie obèse qui lui sert de chat.

Ce qui donne à peu près ça, au quotidien:

- Mon amour, tu as vu, ce soir, y'a "Blade Runner" à la télé!  (tourne discrètement le bouchon vers le +)
- Mmmm, tu sais, moi, les films de science-fiction...(passe derrière pour tourner discrètement le bouchon vers le -)
- Bon, alors on peut se regarder un documentaire sur la décroissance...(repasse doucement derrière elle pour revenir vers le +)
- Ou bien y'a un bon Woody Allen sur Canal...(se glisse sournoisement jusqu'au radiateur pour revenir vers le -)
- Ah oui, tiens, pourquoi pas (passe sa main dans son dos afin de faire faire un tour complet à la molette vers le +)

Ce qui ne manque pas de nous rappeler ce petit bijou du cinéma américain, à l'époque où on savait encore à peu près qui était Kathleen Turner (aujourd'hui, il est fréquent que des promeneurs la confondent avec un éléphant de mer  lamentablement échoué sur une plage déserte de Patagonie).


Alors, bientôt la guerre des Roses chez les gouines du coin de la rue?

Sûrement pas.
C'est pas demain la veille que tu pourras me comparer à Kathleen Turner.