L’airbus prit de la vitesse. Le volume sonore atteignit une douloureuse intensité tandis que les turbo réacteurs crachaient leur fiel.
Les lumières bordant la piste défilèrent de plus en plus vite en adoptant une trajectoire inclinée. La carlingue s’arracha à l’attraction terrestre faisant taire les cahots provoqués par les aspérités du bitume. Je me décollai du dossier de mon siège, soulagé de la poussée fabuleuse. Le train d’atterrissage rentra dans un bruit de métal tordu.
Virginie scrutait les ténèbres constellées des points brillants des agglomérations et des entreprises. Pour les uns, la sonnerie stridente du réveil retentissait les rappelant à l’ordre de leurs obligations professionnelles. Pour les autres, le travail nocturne touchait à a fin et le sommeil tendait ses bras tentateurs.
La vie suivait son cours sur un rythme qui ne souffrait d’aucune altération. Une effrayante continuité dans un mouvement perpétuel. A l’instar d’un pendule de Foucault gigantesque au sein d’une galaxie dénuée de frottements.
Les vols de nuit m’inspiraient ces envolées lyriques et philosophiques. Il y a forcément une explication scientifique à l’état dans lequel je me trouvais dans ces moments. Mon interprétation est plus pragmatique. La nuit est le tissu des rêves. Ces rêves constituent une simulation correcte de l’endormissement, de l’élévation et de la confection de rêves.
Qui sait, Baudelaire n’aurait peut-être pas eu besoin d’abuser de substances illicites pour faire éclore ses fleurs de mal. Un billet en business Class eut suffit.
Il y avait d’ailleurs probablement des Charles Baudelaire en puissance dans notre équipée, là, caché dans une des rangées de l’avion.
Tenez, cet homme là. Il paraissait avoir le bon profil. Bouton de manchette, stylo plume classieux, lunettes cerclées d’or et tempes grisonnantes.
Il lisait le Time en griffonnant sur un carnet à couverture prestigieuse.
Je remarquai qu’il ne cessait de jeter des coups d’œil appuyés vers un point situé devant moi.
Je compris en me remémorant la sémillante asiatique qui s’était présentée au tout dernier moment. Essoufflée, excitée et débraillée après une course effrénée. Sémillante et pulpeuse. Le sourire anormalement figé sur des lèvres énormes. Une anomalie qui jurait avec les traits fins de son visage. Encore une facétie de Maitre Botox et professeur Bistouris. Leur propagande pour livrer des poupées sensuelles et artificielles gagnait de l’ampleur chez la gente féminine fortunée.
Les adeptes de l’art du paraître se multipliaient comme des petits pains…de plastique.
Le pseudo écrivain lecteur du Time était en tout cas en phase d’inspiration limite obsessionnelle.
Je m’emparai de la notice de vol. Aucune allusion aux risques inhérents au port de poches siliconées.
Mr Time plia son magazine sans quitter des yeux la Plastic Girl.
Il extirpa de sa veste une boite rouge barrée d’un évocateur SmokeasyStop. Les préconisations et injonctions glaciales de notre chère chef de cabine avait fait leur cheminement.
Il rata son orifice buccal une première fois. Nerveux au possible, il recommença avec succès.
En suçotant sa pastille anti tabac, il pressa le bouton « service ». Une hôtesse ou un steward n’allait pas tarder.
Au bout de 3 minutes, excédé par l’attente, il appuya de nouveau en gardant son doigt enfoncé obstinément.
Près du cockpit, sur un tableau électronique, la LED 14D clignota furieusement.
Raoul cessa sa préparation du chariot de collations pour écarter les rideaux et rejoindre notre ami poète impatient.
Après force palabres et descriptions gestuelles, le steward arbora un air de miraculeuse compréhension.
« OK »
Il s’empressa de disparaître une seconde pour revenir armé d’une bouteille de lait. Je connaissais ce produit pour y avoir travaillé dans le cadre d’une campagne publicitaire vantant les bienfaits des ferments actifs qui grouillaient dans cette boisson.
Time Man agita le breuvage et commença à retirer l’opercule. Mais celui-ci ne l’entendait pas de cette oreille et opposa une résistance féroce.
Il tira de toute ses forces en découvrant des dents jaunies et inégales.
L’opercule céda…dans une abondante giclée. Une tâche blanche et crémeuse s’étallait sur la chemise et le pantalon de notre infortuné gentleman.
« Shit, fuck… »
Il invectiva le pauvre Raoul qui s’était pointé, alerté par les injures et vulgarités métaphoriques.
La curiosité et l’amusement se lisait sur toutes les faces.
Le steward déconfit s’afféra maladroitement pour réparer les dégâts. C’est à cet instant crucial que Betty Beaumont, chef d’escadron dans l’aviation civile et j’imagine passionnée d’armes à feu et de chasse à l’ours Pyrénéens au couteau crénelé, ancra ses talons acérés juste derrière Raoul.
Elle avait la mine sombre et la posture qui promettait un déluge d’opprobres.
L’air vibra quand elle envoya son poing pour saisir le col blanc de l’homme. Elle tira sec en l’obligeant à se relever. Elle le dépassait encore de 15 bons centimètres. L’index se tendit, menaçant.
« you, you come with me. NOW !!! » Le ton péremptoire fit taire jérémiades et velléités verbales.
Une minute de silence suivit cet ordre. Toute l’assemblée avait des yeux comme des ronds de flan et de nombreuses bouches béaient d’étonnement et d’anxiété face une situation qui pouvait très bien dégénérer dans ce lieu confiné.
Les deux opposants se fusillaient du regard quand l’un craqua, soudain fasciné par ses chaussures en cuir véritable.
L’homme passa du rouge au blanc alors qu’il prenait conscience d’être au centre de ce scandale.
« all right » maugréa-t-il, résigné.
Et il précéda la pétulante et sympathique Betty jusque dans sa tanière.
Raoul ferma la marche en ramassant les derniers vestiges de cette joute aérienne.
Ma migraine s’était étrangement volatilisée. Comme quoi, une distraction de qualité vous libère l’esprit ! Merci Betty.
Virginie toucha mon coude. Elle était hilare.
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