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La Fête des Morts au Mexique ou la gémellité cosmique

Publié le 01 novembre 2008 par Fuligineuse

On va parler encore de la mort ? oui, et c’est de circonstance, en ce jour des Défunts. Il y avait jeudi dernier au Centre culturel mexicain (119 rue Vieille du Temple) une conférence sur le thème de la Fête des Morts au Mexique, par Dominique Fournier, anthropologue, directeur section Amérique latine de la Maison des Sciences de l’Homme. Un exposé très complet dans la mesure où il était à la fois description des rituels pratiqués et interprétation de leur sens dans le contexte spécifique du pays, de sa culture et de ses croyances.

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La Fête des Morts est en effet très importante au Mexique où sa célébration prend un caractère spectaculaire, dans une débauche de fleurs, de parfums, de musique… Elle suit des modalités diverses selon les communautés, avec des constantes : à la maison, construction d’un autel familial, selon des règles précises imposées : au cimetière, visite des tombes, libations et hommage musical. (Dominique Fournier précise que la Fête des Morts mexicaine a été inscrite au patrimoine immatériel de l’Unesco, mettant en valeur l’identité culturelle des communautés indigènes ; toutefois, je n’ai pas trouve d’indications à ce sujet sur le site de l’Unesco). La familiarité des Mexicains avec la mort trouvent son incarnation la plus éclatante dans cette tradition, dans un pays où on appelle affectueusement les morts « Muertitos », avec le suffixe diminutif habituel.

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Dès octobre, les marchés mexicains regorgent d’articles pour préparer la Fête des Morts, qui appartient déjà au monde de la rue. Comme en France les chrysanthèmes, les Mexicains ont leurs « fleurs des morts », dont le nom nahuatl est cempazuchitl ou en espagnol flor de muertos, une sorte d’œillet d’Inde de couleur orangée très vive. La fête se déroule sur quatre jours :

  • le 1er est consacré aux enfants morts dits « Angelitos » – on aménage des chemins de pétales jaunes de la fleur des morts des limites de la rue au seuil des maisons, afin que les enfants morts puissent retrouver leur maison ; car pendant la Fête des Morts, les défunts sont censés rendre visite aux vivants.
  • le 2e jour, on célèbre les gens morts de mort violente.
  • le 3e jour, c’est la Toussaint.
  • le 4e jour reste pour tous les autres morts.

L’autel est installé dans la pièce principale de la maison et décoré par les femmes – tout doit être prêt pour le premierr jour à midi ; tout doit être beau et propre. Un effort esthétique qui témoigne de la qualité du rapport avec les âmes mais s’adresse aussi aux vivants : cela signifie que dans cette maison, on sait faire les choses dignement.

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Les plats favoris du mort sont présentés dans une vaisselle en terre cuite qui doit être neuve – c’est un échange qui passe par la dépense. Pendant cette période, la maison devient une parcelle du cosmos où la vie brève (celle des individus) vient à la rencontre de la mort et se mélange à la vie longue (celle de la société et de la nature). La nourriture proposée est un plat collectif, souvent un mole de volaille (le plus connu est le mole poblano, avec sa sauce au cacao).

Des paniers sont disposés de chaque côté, contenant des tamales (petits pains de maïs farcis) et des panes de muertos (à la farine de blé) : ainsi la Fête des Morts associe les cultures préhispanique et coloniale. Les passants (au village) sont invités à venir voir les autels ; les plats seront répartis entre famille, voisins, amis, compadres.

Sur l’autel, les quatre éléments doivent être représentés :

  • fruits de la région et calebasses = terre
  • papiers découpés = air (passage du vent, souffle de la création chez les Aztèques)
  • eau et autres boissons
  • bougies = feu

Des coupelles d’encens permettent la communication avec les éléments immatériels, car les morts ne mangent pas, mais se nourrissent de l’odeur, qui communique du sens à la matière (cf. le mythe aztèque de la création des fleurs, fécondées par une chauve-souris leur conférant l’odeur).

« Par delà ses aspects les plus spectaculaires, on doit retenir que la Fête des Morts au Mexique trouve toute sa place dans le cycle annuel de la vie telle que la conçoivent les habitants de la Mésoamérique. Loin de ne permettre que la seule relation avec les forces de l’au-delà (dimension verticale), elle met en lumière la nécessité, pour l’ensemble de la communauté, d’établir des liens sociaux à partir de chaque foyer (dimension horizontale) », conclut Dominique Fournier.

La célébration de la Fête des Morts correspond à une vision dualiste du monde : passage terre/ciel, bas/haut, sacré/profane. Dans le calendrier, elle se situe au début de l’hiver, lorsque les récoltes faites autorisent l’abondance. Elle correspond à l’inverse aux fêtes de la Semaine sainte qui marque la résurrection de la nature après sa mort hivernale. Le mélange des deux éléments est nécessaire pour que le monde assure sa survie. Dans les mythes cosmogoniques aztèques, le dieu Quetzalcoatl broie les os restant de l’humanité précédente pour créer celle-ci. Le pan de muertos qui prend souvent la forme d’ossements symbolise ce qui reste après que la vie brève de l’homme a disparu. Il n’existe pas de séparation entre vie et mort : ce sont des éléments jumeaux et complémentaires, et les âmes des morts reviennent parmi nous pour participer à la bonne marche du monde.

Fuligineuse

Photos DR

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