Encore Paris

Publié le 02 novembre 2008 par Anaïs Valente

Approche-toi, ma poule, je vais te parler d'un sujet que tu attends impatiemment même que tu trépignes depuis des jours hein dis-le que tu trépignes : mon escapade parisienne à l'Olympia.  Avoue que ça t'en bouche un coin et que tu en es sur le cul rien que d'y songer.

Non.

Ça va pas.

J'y arrive pas.

Je sais pas tutoyer.

C'est définitif.

Chuis vieille et périmée.  Et incapable de tutoyer.

Alors retour à la bonne vieille méthode Anaïssienne.  On ne se refait pas.  Le « vous » restera à moi.

Donc, chuis encore retournée à Paris.

Mercredi.

Et me revoilà dans le Thalys.  Je vais finir par ne plus le supporter, le Thalys.

D'autant que le sort s'acharne.  A moins que ce soit moi qui sois intolérante.  Je songe à la seconde proposition.  Je dois être intolérante.  Mais tout de même, les gens sont insupportables.  Un bébé hurle, quoi de plus normal pour un bébé.  Mais peut-on le ligoter le bâillonner l'étouffer l'assommer ou le droguer ?  Une femme dort paisiblement, malgré les cris.  Bienheureuse soit-elle.  Devant moi, en suspension, un long cheveu se balance au gré de l'air conditionné.

Je suis installée côté fenêtre, réservation de dernière minute oblige, et mon voisin installe sa tablette, la « déplie », y installe son barda.  Me voici prise au piège.  Il n'est ni souriant ni poli, et s'avachit sur son siège sans un mot, sans un regard.  Avec un peu d'imagination, il serait brun et ténébreux.  Je tourne doucement la tête.  Bon, faudra beaucoup d'imagination.  D'autant qu'il sort un long sandwich à je ne sais quoi.  J'ignore ce qu'il contient, mais keskil pue ce sandwich.  Je parviens à l'apercevoir et son contenu oscille entre le gris et le vert, voire le beige.  Il doit être fourré de pain de viande périmé, poilu et verdâtre, ce ne peut être que ça.  Ou plutôt, je ne sens que ça.  Une véritable infection.  Mais le pire reste à venir, lorsque le faux brun ténébreux entame son repas, à grand renfort de bruits de succion incroyable.  Je n'imaginais pas qu'on puisse faire tant de bruit en mangeant.  Bouche grande ouverte.  Langue bien mobile.  Lèvres en mouvement.  Bruits mouillés.  Bruit infernal, amplifié par l'idée que je me fais de ce pain de viande puant en train de se faire désagréger par des dents sans doute couvertes de tartre.  Argh.  Entre chaque bouchée, il se relèche consciencieusement (et toujours bruyamment) chaque doigt.  L'opération prend un temps fou.  J'ai l'impression d'avoir un zoo complet à côté de moi, en train de se sustenter : machouillage de singe, reniflements de porc et raclements de gorge d'hippopotame.  Et encore, j'insulte ces pauvres animaux, sur ce coup-là.  Qui plus est, il est goujat comme un éléphant le serait vis-à-vis d'une souris de porcelaine : lorsque je demande pour passer et me rendre au petit coin (comme d'habitude, le bercement du Thalys réveille ma vessie et mon système digestif), il se lève en soupirant.  A mon retour, il feint de m'ignorer et je dois, après quelques secondes d'attente exaspérée à ses côtés, presque hurler pour qu'il daigne me laisser rejoindre mon siège.  A l'arrivée en gare du Nord, il semble avoir oublié qu'il est temps de descendre, et je dois patienter de longues minutes avant qu'il n'ait rangé, en tremblant comme un drogué en manque, son papier de sandwich, sa bouteille de Coca light et son magazine, avant de rejoindre, enfin, seule, le métro.

Car cette fois c'est bel et bien réel : je vais me déplacer dans Paris entièrement seule, en métro.  Pas quelques stations comme la dernière fois.  Mais un véritable trajet, avec changement et tout et tout.  Dingue, je sais.  Pékin express version Parisienne.

Contre toute attente, je m'en sors sans encombre et me retrouve aux Galeries Lafayette, pour une petite virée shopping pré-concert.  Virée qui se solde par un échec : je dépense zéro euro zéro centime, me contentant de me balader dans les rayons, de slalomer parmi la foule, d'éviter les touristes fous et d'aller admirer le coucher de soleil sur la Tour Eiffel.  Au passage, je repère le self-service du dernier étage, qui me donne une faim de loup.  Je tente de trouver mon bébé, j'ai nommé « le savoir écrire pour les filles », en vain.  « On ne fait pas cette collection là », me rétorque un grand brun ténébreux à l'accent parisien (logique, tu es à Paris ma petite Anaïs).  Tant pis.

Ensuite, je quitte ces lieux surchauffés et stressants pour me rendre à l'Olympia, à quelques centaines de mètres de là.  Mais quelques centaines de mètres à gauche, à droite, au Nord, au Sud ?  Je l'ignore, et mon plan ne m'aide pas.  Je demande donc l'aide d'une Parisienne, qui m'oriente vite fait, en poursuivant son chemin.  A Paris, on ne s'arrête pas.  Jamais.  On trace sa route.

Je trouve rapidement l'Olympia, et me vautre dans la contemplation de la devanture en lettres rouges.  Mythique.  Lieu mythique.  Salle mythique, qui m'a toujours fait rêver, et que je vais découvrir, pour la première fois de ma petite existence belge.  J'en bave d'excitation.

Il est 18 heures, et je dois retrouver Steph, d'Au Moulin Rose, partenaire de l'opération, et ma bienfaitrice d'un soir, qui détient mon invitation.  Sauf que le numéro de téléphone qu'elle m'a donné n'est pas correct, me dit l'opératrice à l'accent parisien, lui aussi.  Grand moment de solitude.  Moi.  Seule.  A Paris.  Devant l'Olympia.  En pleine nuit (ou presque).  Sans entrée pour la soirée.  Angoisse folle.  Je vais devoir trouver un hôtel loger sous les ponts regagner la gare me faire attaquer dévaliser voler finir à l'hôpital sans le sou dépenser 1000 eur pour une chambre au Ritz seul hôtel disponible y rencontrer le sosie de Richard Gere passer une folle nuit en sa compagnie et devenir parisienne pour toujours par amour.  Soudain, je repère une jolie blonde au logo Au Moulin Rose.  Sauvée.  Miracle.  Je hurle.  C'est elle.  Alléluia, y'a un dieu pour les belges esseulées.  J'entre à l'Olympia.  J'admire au passage les affiches qui décorent le hall.  Je mange quelques makis (saumon, avocat, concombre, argh), j'arrose le tout d'un smoothie et d'un alcool rouge indéfinissable (je refuse le champagne, j'en ai décidément trop bu récemment ma chèèèèère), en dessert des brownies fondants à souhait.  J'envisage de me faire faire un petit massage, mais la vue des quatre personnes qui attendent déjà me dissuade.  Je reviendrai plus tard.  Plus tard, je reviens : cinquante personnes me précèdent... adieu massage. Ça m'apprendra à avoir un peu plus de patience.

Je m'installe dans un siège rouge peu confortable.  Mais on s'en moque, c'est l'Olympia.  L'Olympia !  L'OLYMPIA.  J'observe.  Trois lustres en cristal décorent la scène, sur laquelle un piano est déjà planté.  Une dame âgée se fait offrir des préservatifs au stand de Steph, ainsi qu'une sucette pour couple.  Petite coquine.  Une femme toute de noir vêtue arbore d'énormes bottes à floches en fausse fourrure beige.  Des dizaines de parisiennes filiformes se déplacent sur coussins d'air et sur talons hauts.  C'est la foire aux talons hauts, ici.  Des couples.  Des bandes d'amis.  Une femme à cheveux roses fuchsia passe en coup de vent, suivie de deux clones à robes identiques.  Et moi, là, un peu perdue, pas trop à ma place, mais tellement contente d'être là.

Le concert commence, et c'est que du bonheur.  Julien Clerc entame les réjouissances avec son nouveau titre, puis avec « ce n'est rien », que nous chantons en chœur (bien que les Parisiens soient nettement plus froids que les Belges, c'est indéniable).  Vachement mignon, Julien.  Il est rejoint par Stanislas et Calogero (vachement mignons aussi) pour un trio sur« Femmes je vous aime ».  Argh, je les aime aussi.  Ensuite, Daniel Powter pointe le bout de son nez, et je réalise que je connais ses chansons.  Dingue.  Quelle culture.  Il est drôle à souhait et sa présence sur scène est incroyable.  Jolie surprise pour moi, qui ignorais tout de Daniel Powter.  Stanislas n'est pas en reste, et il nous fait beaucoup rire, contre toute attente.  Je l'imaginais calme et romantique, il est drôle, en plus.  Célibataire ?  Moi qui déteste « le manège », je me surprends à chanter et à tomber dingue de ce morceau.  Comme quoi, la scène rend tout fabuleux.  Sur « la belle de mai », je fonds encore plus.  Et lorsque Calo revient pour la débâcle des sentiments, je meurs de bonheur.  Quelles voix.  Ensuite, James Blunt, tout décoiffé, se pointe sur scène.  Même « You're beautifull », qui me provoque en général de l'urticaire, me fait me pâmer.  Argh, trop bon.  Mais trop court.  Ces cinq mini-concerts me donnent envie de tout voir, tout revoir.  Cinq voix superbes, cinq voix différentes mais cinq voix qui ne peuvent laisser indifférent.  Que du bonheur.  Je suis sur mon nuage.  Encore encore encore...

Ensuite, retour chez Steph, pour un petit plat de pâtes, à minuit.  Que du bonheur, encore.  Le tout sous le regard des deux fauves.  Un noir.  Un roux.  Un roux qui m'intrigue.  Que je regarde, regarde et regarde encore, jusqu'à comprendre.  Ce chat est le Chat Potté.  Même tête.  Même regard.  Même complainte larmoyante lorsqu'il pose sa tête sur la table, afin de glaner un morceau de jambon.  J'aime ce chat.  C'est pourtant le mister noir qui passera la nuit avec moi.  Enfin.  Une nuit avec un mâle amoureux.  Grâce à Steph.  Que du bonheur, toujours.

Je m'endors doucement, au son du ronronnement des félins et en lisant quelques pages d'Orgueil et préjugés.