Elle a 50 ans cette année. Un demi-siècle d’existence lui fait remarquer sa copine qui renchérit en disant que c’est le début de la fin ! Et si au contraire, c’était le début d’une autre vie ?
En prévision de cet anniversaire, depuis trois ans, elle avait consciencieusement mis de côté toutes les pièces de deux euros qu’elle trouvait dans son portemonnaie à la fin de la journée. Elle avait ainsi accumulé un joli petit pactole qu’elle se destinait à dépenser pour cet évènement majeur. Le tout était de savoir comment ? Son esprit avait vagabondé dans toutes les directions et écarté toutes les idées trop conventionnelles, connues ou trop usitées pour ne garder que celles qui lui semblaient inabordables ou complètement folles. Finalement, un petit sourire aux lèvres, elle avait su ce qui allait lui faire plaisir…
Elle avait commencé ses recherches et finit par trouver les coordonnées de l’homme convoité. Pas difficile quand c’est un homme public donc connu. Elle devait passer par son agent ? Pas de problèmes elle avait donc transmis sa proposition et demandé une estimation des coûts de la soirée. Puis, elle avait choisi un hôtel digne de les recevoir et avait attendu. Quand la lettre avec la réponse positive et les conditions était arrivée, elle avait sauté de joie sur place comme une gamine en battant des mains. Elle s’était confiée à sa meilleure amie qui l’avait prise pour une cinglée mais l’avait quand même encouragée à vivre sa folie, après tout, on n’a 50 ans qu’une fois dans sa vie !
Le jour clé arrive. Léonie se présente à la réception du palace en début d’après-midi. Quand elle ouvre la porte de la suite réservée, elle sent son cœur gonfler dans sa poitrine, de peur et de plaisir. Elle s’installe, prend un bain moussant, se fait servir en chambre un thé avec des scones, puis se rend chez l’esthéticienne pour un soin du visage avant de passer chez la coiffeuse de l’hôtel. L’heure passant, elle choisit une tenue simple car ce ne sera pas elle la vedette de la soirée mais celui qu’elle attend. A huit heures pile, on frappe à la porte. Quand elle ouvre, un sourire béat reçoit Michel Malou, chanteur français engagé à la voix basse et profonde qui ne chantera ce soir que pour elle et elle seule. Son cadeau pour ses 50 ans !
L’homme la salue d’une courbette et lui baise la main. Il tient sa guitare sans étui et est vêtu comme à son habitude, d’une chemise noire sur pantalon noir. Elle s’efface pour le laisser entrer et lui propose un peu de champagne. Il refuse préférant partager un verre a la fin de son récital. Il lui demande si elle a des préférences, elle les lui dit et sitôt installé, il débute son tour de chant. Une heure de bonheur total, une heure de voyages, de vérités, de poésie et de tendresse. Elle vibre et se laisse guider dans un monde de chansons où elle s’imagine être la muse de l’artiste…après tout elle peut bien rêver ? Le dernier accord joué, elle reste immobile, la tête pleine de mots, d’impressions, de mélodies. Michel Malou pose sa guitare et va se servir un verre puis il s’assied en face d’elle. Il ne dit rien, il sirote son champagne et attend.
- Merci, c’était tout simplement fantastique.
Elle regarde son verre et propose.
- Je sais que ce n’est pas prévu par le contrat, mais j’aurais grand plaisir à vous inviter à manger ?
Il accepte volontiers, elle saisit le téléphone et passe commande pour un service en chambre. La suite de la soirée est parfaite, ils échangent sur des sujets divers, il raconte son parcours de chanteur engagé contre la discrimination et les inégalités, ses combats avec les mots et la musique, ses seules armes et elle commence à comprendre pourquoi elle l’a choisi, lui et lui seul…Ils se quittent en se faisant la bise, une amitié est en train de naître peut-être mais ce qui est sûr c’est que, grâce à lui, elle a trouvé le but de son autre demi-siècle à venir. Elle y avait déjà pensé mais sa timidité l’avait retenue, ses peurs également.
Le lendemain matin, la porte qui se referme sur sa suite est le symbole d’un passé qui se termine et d’un avenir ouvert, elle ne sait pas encore comment, ni où mais ce qu’elle sait c’est que sa vie sera autre et si une peur tentera de la retenir, elle se dira: « Si tu ne le fais pas à 50 ans, tu ne le feras jamais, donc vas-y ! »