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Karima et Conxita

Publié le 05 novembre 2008 par Unepageparjour

Début du Rosier de Julia

IV

Karima et Conxita, les deux nouvelles femmes de chambre du Grand Hôtel, à peine vingt ans l’une et l’autre, foulaient au petit matin le tapis rouge du dernier étage. Madame Leblanc-Rajnic, la gouvernante, leur avait demandé de s’occuper de la chambre nuptiale. Le plus souvent, les mariés n’y dormaient même pas. Un bon début pour des débutantes.

Les deux jeunes filles, poussant leur chariot, s’émerveillaient des moulures et des lustres. Tant de luxe ! Elles en rêvaient depuis l’enfance. Elles ne connaissaient pas encore la chambre nuptiale. Au moment d’ouvrir la porte, le cœur battant, elles imaginaient des princes et des princesses, aux costumes élégants et aux robes scintillantes, s’élançant sur des valses légères, tourbillonnant dans des airs de fêtes galantes, des fontaines miraculeuses aux oiseaux enchantés, des corbeilles de fruits inconnus, des gerbes de fleurs multicolores … l’une et l’autre se surprirent dans leur méditation et s’en arrachèrent en riant.

Karima tournait la clé dans la serrure, pendant que Conxita frappait à la porte.

Ménage ! S’écriaient-elles joyeusement en chœur, à travers le battant de bois.

Elles entrèrent sur la pointe des pieds, intimidées. Il s’agissait de leur toute première chambre ! 

La pièce leur sembla sombre. Les volets clos, les lourds rideaux de velours, les tentures des murs. Un étrange parfum flottait dans l’air. La lumière du couloir pénétrait mal dans la chambre, comme si des secrets, protégés d’ombre, habitaient ici, drapés de silence.

Je vais ouvrir les volets, chuchota Karima.

A tâtons, dirigée par la faible lueur bleutée qui filtrait de l’embrasure, la jeune fille parvint jusqu’à la fenêtre. Les flots du  soleil matinal inondèrent d’un coup la chambre.

Karima sentit son sang se glacer. Conxita, derrière elle, avait poussé un grand cri.

Serrées dans les bras l’une de l’autre, surprises, elles regardaient sans vraiment comprendre cette magnifique robe de soie sauvage, toute en dentelle, d’un rouge vif, éclatant, qui semblait flotter sur le lit, presque vivante. Ses formes alanguies rappelaient la présence d’une femme aux poses sensuelles, étonnamment présente.

A côté, assis sur un fauteuil, un rosier immense, couvert de roses écarlates, disposait ses branches et son feuillage avec désinvolture, comme un jeune homme élégant, qui aurait croisés ses jambes, replié un bras sur son ventre, et relevé l’autre, en le posant délicatement sur l’accoudoir.

Les deux jeunes filles, le premier moment de frayeur passée, avaient l’impression que la robe et le rosier devisaient avec sérénité, leur pensée s’envolant en volute fine dans l’atmosphère légère du printemps. Alors, elles s’invitèrent et s’assirent sur le lit, et restèrent ainsi, heureuses de participer à leur conversation. 

FIN DE L'HISTOIRE


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