Magazine Journal intime

Sur un livre d’Erri De Luca

Publié le 09 novembre 2008 par Alainlecomte

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(glacier dans le val Gaudemar)

Je parle quelquefois de la montagne. Oh ! ce n’est pas que je sois un grand montagnard ! Souvent je peste contre le froid qu’il y fait et j’ai peur de m’aventurer sur les glaciers. Bref, « j’sui nul ». Mais j’admire les montagnards. Si je pouvais revivre ma vie, je serais sportif, montagnard et musicien, trois choses que je ne suis pas. Ce serait mieux que d’être, entre autres, plus ou moins mathématicien… Comme je l’ai déjà dit sur ce blog, je dois mes plus beaux souvenirs de montagne à C. qui, elle, à su m’entraîner sur des chemins que je n’aurais jamais empruntés si elle n’avait pas été là. Je reviendrai un jour sur mon premier six mille, et j’ai déjà évoqué cette merveilleuse traversée sur les glaciers, de Verbier à Zermatt, qu’on appelle « La Haute Route », magnifiquement décrite par le poète suisse Maurice Chappaz (je reviendrai aussi un jour sur ce poète). J’ai parlé aussi de cette expédition à moitié ratée dans la vallée du Khumbu , à la recherche du mythique Chomolungma (autrement dit l’Everest).

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(Namche Bazar sous la neige, dernière “ville” avant le parc de l’Everest)

Si je parle aujourd’hui de cette montagne… qui me donne tant à condition que je fasse tant d’effort (sur moi-même d’abord), c’est que j’ai lu ce week-end un petit livre éblouissant à son sujet: « Sur la trace de Nives » d’Erri De Luca (traduit de l’italien par Danièle Valin).

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Qui est Nives ? qui est De Luca ? Celui-ci d’abord : un écrivain italien ayant déjà obtenu, en France, le Prix Fémina Etranger (en 2002) pour son roman « Montedidio ». Natif de Naples, il a été fortement engagé à gauche durant les « années de plomb » et a connu, pour cela, les geôles italiennes. Ayant dû se réfugier un temps en France, il y vécut de durs travaux dans le BTP, avant de retourner en Italie et de développer une carrière littéraire qui en fait aujourd’hui un des premiers écrivains transalpins. Il est par ailleurs un « écrivain alpiniste » (comme on dit « un écrivain voyageur »). Pour Nives maintenant : il s’agit de Nives Meroi , l’une des plus grandes alpinistes femmes au monde, qui a accompli déjà de nombreux huit mille. « Nives » signifie « neiges » en latin… un signe !

Si ce livre est beau c’est parce qu’il parle sans détour du contact direct des hommes et des femmes avec l’univers blanc, celui qui peut nous (me ?) terroriser parfois (souvent…). Il nous parle des départs de nuit, à la lampe frontale, sur des pentes gelées, quand parfois le vent, à l’aide de ses petites bourrasques, est le seul à nous rappeler, en nous projetant de la neige au visage, que nous sommes environnés de crêtes et de sommets.

On disait que la neige est du papier blanc qui redevient blanc. Mais la nuit, elle est noire et avec la lampe frontale qui n’en éclaire qu’une partie, tout le contour est encore plus noir. C’est beau pourtant de partir vers le haut avec l’obscurité qui t’enveloppe et ton petit faisceau de lumière au-dessus du nez. Le silence grince sous les pas pointus des crampons, le silence et la neige sont la même chose la nuit et tes pas brisent les deux.

La montagne ? Nives dit :

La montagne est pour moi un lieu désert où l’on voit le monde tel qu’il était sans nous et tel qu’il sera après.

Au cours de leur dialogue, Erri et Nives passent par les sommets de l’Himalaya qu’elle a atteints (Lhotse, Gasherbrum…), leurs escalades dans les Dolomites, mais aussi par la poésie et par l’histoire.

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(Aiguille du Dru, depuis le balcon du Brévent)

Monde de la montagne : un de ces territoires que jamais n’atteindra la logique absurde des rendements économiques (« Dans le grand atelier quotidien des efforts consacrés à un avantage, à un intérêt, l’escalade est enfin affranchie de l’obligation d’être utile »). C’est comme la poésie, dans le fond. Evoquant un poète yougoslave, Ante Zemljar, qui passa de nombreuses années dans les prisons de Tito, De Luca dit en passant, de celle-ci, (la poésie) « qu’elle a été la plus forte machine de résistance du vingtième siècle pour ceux qui n’avaient foi en aucun Dieu ». Et quand Nives parle de cette lumière qui souvent nous aveugle en haut des montagnes, ses accents (« Nous sommes si fragiles que nous ne pouvons pas nous permettre de regarder cette lumière ») rappellent le fameux vers de Rilke : « la Beauté n’est jamais que le degré du Terrible qu’à jamais nous supportons ».

Je crois, finalement, que la montagne est la plus belle métaphore des efforts énormes que nous devons (ou que nous devrions) continuellement faire sur nous-mêmes pour, dans nos vies, transcender le quotidien. Et c’est pour cela qu’elle est si difficile.

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(Kanchenjunga, vu de Darjeeling)


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