Puis, comme une bulle

Publié le 10 novembre 2008 par Unepageparjour

Début de Habélard et Lola

Puis, comme une bulle de chewing-gum, la vie s'élançait des cuisses de la jument. Ils distinguèrent d'abord un petit sabot noir, au travers de la gaze blanche. Aicha, en plein effort, ne se retournait pas, elle restait concentrée sur son oeuvre,  inspirant, soufflant, elle lançait toutes ses forces dans la bataille. Le sabot s’allongeait. Une patte suivit, fragile, puis une deuxième, tout aussi frêle.

Ils attendirent. L’été s’était arrêté. La brise légère restait accrochée aux feuilles du pommier, sans bouger. Lola retenait son souffle. Même les hirondelles, très haut dans le ciel, semblaient suspendre leur vol, un instant, juste le temps d’accueillir le nouveau venu.

Aicha, dans un dernier spasme qui fit trembler la terre sous leurs pieds, offrit à l’herbe tiède le fruit de ses flancs. La tête effilée du poulain, l’encolure, le corps longiligne, bizarrement tordu, et les pattes arrières : tout était là, plein de vie mouillée, dans la brise légère qui avait repris ses esprits. La jeune mère, éreintée mais fière, léchait avec tendresse la tête ébouriffée du petit.
 
Lola aurait aimé prendre dans ses bras le bébé, mais Monsieur Robert l'en dissuadait du regard. Il fallait laisser Aicha s'occuper de son enfant, sans la déranger.

Les premières minutes sont primordiales, expliquait-il. Tout se joue maintenant, la relation entre la mère et son poulain. La première tétée, riche de colostrum, le lait rempli d'anticorps.

Mais Lola n’écoutait pas vraiment, fascinée par le jeune cheval, par la mère et l’enfant, par cette étincelle de vie, qui soudain, au milieu de ce pré orné d’un vieux pommier, venait d’éclore, magique ! Déjà, le poulain, affamé par cette course qui venait de s’achever par sa naissance, cherchait à s’appuyer sur ses pattes grêles, encore tremblantes. Aicha l’encourageait de ses naseaux, soufflant un amour chaud sur son poil humide. Quelques pas, timides, irréels, maladroits le portaient avec confiance vers le lait tiède et savoureux de son premier repas.

Repus et heureux de ce contact avec le monde, le poulain se coucha sur le flanc et, pour la première fois, posa ses grands yeux sur la fillette.

Illustration de Coq (c)