J'connais un' grue sur le Vieux Port
Avec des dents longu's comm' la faim
Et qui dégraf' tous les marins
Qu'ont l'âme chagrine et le cœur d'or
C'est à Marseille que j'vais la voir
Quand le soleil se fout en tweed
Et que l'mistral joue les caïds
C'est à Marseille qu'ell' traîn' le soir
Elle a des jupes à embarquer
Tous les chalands qui traîn'nt la nuit
Et des froufrous qui font tant d'bruit
Qu'on les entend au bout du quai
Il suffit d'y mettre un peu d'soi
C'est un' putain qu'aime que la braise
Et moi j'l'appelle la Marseillaise
C'est bien le moins que je lui dois
Arrête un peu que j'vois
Su tu fais l'poids
Et si j'en aurai pour mon fric
Arrête un peu que j'vois
Si les étoiles couchent avec toi
Et tu m'diras
Combien j'te dois
J'connais un' grue dans mon pays
Avec les dents longu's comm' le bras
Et qui s'tapait tous les soldats
Qu'avaient la mort dans leur fusil
C'est à Verdun qu'on peut la voir
Quand les souv'nirs se foutent en prise
Et que l'vent d'est pose sa valise
Et qu'les médaill's font le trottoir
Elle a un' voix à embarquer
Tous les traîn'-tapins qu'elle rencontre
Et il paraît qu'au bout du compte
Ça en fait un drôl' de paquet
Il suffit d'y mettre un peu d'soi
Au fond c'est qu'un' chanson française
Mais qu'on l'appell' la Marseillaise
Ça fait bizarr' dans ces coins-là
Arrête un peu que j'vois
Si t'as d'la voix
Si j'en aurais pour mes galons
Arrête un peu que j'vois
Et puis qu'j'abreuve tous vos sillons
Et j'vous dirai
Combien ça fait
J'connais un' grue qu'a pas d'principes
Les dents longu's comme un jour sans pain
Qui dégrafait tous les gamins
Fumant leur vie dans leur cass'-pipe
C'est dans les champs qu'ell' traîn' son cul
Où y a des croix comm' des oiseaux
Des croix blanch's plantées pour la peau
La peau des autr's bien entendu
Cell'-là on peut jamais la voir
A moins d'y voir les yeux fermés
Et l'périscop' dans les trous d'nez
Bien allongé sous le boul'vard
Suffit d'leur filer quat' bouts d'bois
Et d'fair' leur lit dans un peu d'glaise
Et d'leur chanter la Marseillaise
Et d'leur faire un' bell' jambe de bois
Arrête un peu tes cuivres
Et tes tambours
Et ramèn' moi l'accordéon
Arrête un peu tes cuivres
Que je puiss' finir ma chanson
Le temps que j'baise
Ma Marseillaise
Léo Ferré
Magazine Journal intime
La marseillaise
Publié le 11 novembre 2008 par Annonymise
Pour les oreilles "sensibles" aux sifflets du Stade de France et les "commémoralisateurs"...