Je soupçonne les cardiologues de n'avoir aucun sens de l'humour. En tout cas, le mien n'est pas très drôle. Il me semble pourtant que si je passais mes journées à sonder l'organe noble et à découvrir de palpitants vices de procédure, je le ferais avec un gros nez rouge et des confettis dans la poche.
Pour détendre un chouia l'atmosphère.
Mais mon cardiologue est un sphinx. Je viens de passer quelques moments en sa compagnie, et je doute qu'il puisse un jour remplacer au pied levé le gugusse du cirque Knee.
Notez bien, ça n'est probablement pas le genre de promotion qu'il attend de la vie, je peux comprendre.
Vous êtes certainement très nombreux à avoir passé un scanner abdominal, mais pour moi, c'était une première. J'ai d'ailleurs fait un voeu pour l'occasion. C'est fou à quel point vous vous sentez démunie lorsque vous découvrez que vous avez mis vos chaussettes à l'envers, au moment de vous allonger, totalement vulnérable, sous une espèce de télévision psychédélique qui vous montre en gros plan vos organes internes. Curieusement détachée, vous contemplez un ensemble de viscères qui vous rappelle étrangement un film de série B: "le Blob". Le son est à l'avenant. Ce bruit de camion-poubelle, c'est votre flux sanguin, vous explique votre cardiologue d'un ton lugubre, avant de se pencher plus en avant sur l'écran et d'émettre une petit "ho" surpris, comme s'il découvrait un minuscule camion en plastique au fond d'une pochette-surprise de la taille d'un moulin.
Vous, vous dîtes "qu'est-ce que c'est, mon bon docteur?", et il vous répond que vous avez un caillot dans l'aorte. Voilà qui corse légèrement une situation déjà relativement précaire. Vous vous demandez alors à quel moment il va découvrir une contrebasse ou un trident dans votre ventricule gauche, et vous essayez de vous souvenir à quel endroit vous avez garé votre vélo, des fois que. Peine perdue. Vous hébergez probablement les compagnons de la chanson dans votre cerveau, c'est la raison pour laquelle vos souvenirs sont imprécis.
Ensuite, après vous avoir oint l'ensemble du corps d'une espèce de gel froid et gluant comme de la colle à tapisserie, le bon docteur va vous déguiser en sapin de Noel en vous collant ça et là de petites ventouses en plastique, qui vont tomber les unes après les autres pendant qu'il aura le dos tourné. Votre électrocardiogramme est plat, ce qu'il ne comprend pas. Vous, vous savez qu'il est en train de prendre le poult d'une table chirurgicale, toutes les petites ventouses se sont détachées et gisent, orphelines, de chaque côté de vos flancs.
Mais vous n'osez rien dire.
Parce que le spécialiste, c'est lui.
Excédé, il va vous recoller les ventouses avec de la colle cyanolite, qu'il enlèvera ensuite à l'aide d'un scalpel très précis. Puis il va grommeler quelques mots en Araméen dans un énorme dictaphone, avant d'écouter à nouveau votre flux sanguin. Vous vous dîtes que le bruit produit pas les tonnes d'eau qui s'échappent du barrage des trois gorges doit ressembler à ça, et que vous êtes au bord d'une catastrophe écologique sans précédent. Vous le lui dîtes avec un faible petit sourire apeuré, ça ne le fait absolument pas rire.
Encore un râteau.
Puis votre bon docteur va vous remettre une liasse de diagrammes divers, et se mettre à délirer en vous parlant d'ouverture des sigmoïdes et de leur caractère échogène, de vos valves tricuspides, de votre anneau mitral, et de votre crosse aortique. Vous vous étonnez de la tournure ésotérique que prend cette conversation, avant que de réaliser qu'il doit être en train d'écrire un livre de science-fiction; et que son assistante lui a fait boire une potion hallucinogène à son insu.
"Avez-vous des questions?", va-t-il vous demander pendant que vous vous rhabillez, toute gluante, et que vous en profitez pour remettre vos chaussettes à l'endroit. Vous lui demandez alors si vous pouvez continuer à faire 4 heures de tennis par jour, un jogging, une via-ferrata, à avoir des rapports sexuels avec l'association de quartier, à poursuivre votre entraînement de femme-catapulte, et à apprendre par coeur les sonnets d'Ibn Al' Suleiman, le célèbre poète Persan du XIeme siècle.
Ce qui, une fois de plus, ne fera rire que vous.
Avec le nombre de râteau que vous avez pris, vous pouvez envisager de remodeler l'ensemble du jardin botanique de Genève.
Mais comme le bon docteur n'a pas répondu à cette question, j'ignore si j'y suis autorisée.
De toute manière, je n'y connais strictement rien en jardinage.
Ce qui résoud bien des problèmes.