Magazine Journal intime

Du mal qu'on se donne

Publié le 12 novembre 2008 par Pffftt
J’ai croisé l’épuisement et comme la guigne il ne m’a plus jamais lâché.
C’était d’avancer les mains enfoncées dans les poches de mon froc, c’était traîner mes semelles sur les pavés froids et glissants, c’était chercher le sommeil la tempe qui fait mal, crispée contre l’oreiller.
C’était se soumettre, abandonner la guerre, chercher à oublier l’ennemi…
J’ai croisé l’épuisement et, comme un sourire de toi au petit matin de juin, cet enfoiré restait gravé, griffé, tatoué.
C’était d’oublier ton odeur quoiqu’il m’en coûte, c’était de caresser les moustaches du chat en perdant pied devant l’écran plat, c’était de vider le ballon d’eau chaude en une seule fois, le visage sous la flotte qui ruisselle, le frisson quand le robinet se ferme, les canalisations du voisin d’en haut qui fuient.
Ouais, j’ai croisé l’épuisement, j’ai pas eu de chance, voilà.
Y avait eu quoi avant ça ?
Ce qu’il se fait de plus beau…
…y avait eu toi et moi.
J’ai subi la haine et comme la honte j’me suis forcé à vivre avec.
C’était de crier, et blesser comme une lame qu’on enfonce dans la chair pour se faire bien à soi…mal à toi. On s’y fait, pourvu que tu restes…
C’était une corde à ton cou, une gifle dans la nuit, baiser des putes pour que tu t’y perdes…la guerre encore.
C’était de découvrir que tu pouvais faire le choix de te casser et enfin réaliser que j’étais rien de bien. Et puis te décider à le faire...tu partais, tu revenais...y aurait jamais de fin je croyais...presque une victoire si j'y repense là ce soir...jamais de fin...
C’était faire semblant de tout refuser en bloc comme si j’avais le choix…mais toi tu volais le choix…tu me depossédais pour me ranimer ensuite, tu hurlais pour me faire taire et de subir la haine, comme on s’y perd, on finit un jour par s’y plaire…je suis devenu fou, et tant pis si j’en crève.
Y avait eu quoi en même temps que ça ?
Ce qu’il me plaît de paradoxe, de sensations vertigineuses…
…toi qui m’offrait toi et dans le sens inverse, aller et retour et même au feu rouge, ça devenait vert…warning, feu de détresse qui éblouit l’adversaire…et cette infinie douceur, les détours par tes virages sinueux, le brillant de ta voix dans mon oreille endormie, un truc qui ressemblait à une promesse…y avait eu toi + moi.
Un drôle de signal.
Encore une autre vie face à la mort.
J’ai tourbillonné des mois, avec ma tête dans ton espace intersidéral, mes yeux mouillés de Calimero dans ta coquille d’œuf un peu cassée, une force nouvelle en moi…comme un mystère.
Et puis un jour de crasse, tu n’es plus là, et je ne serai plus jamais ton gars.
Un jour m’écroule, m’anéantit de toi sans moi, et j’ai beau gueuler à l’injustice, tu n’es plus là, et je ne serai plus jamais ton gars.
Un jour seulement, et même juste une heure qui fracasse ce que nous étions l’un à l’autre…qui pourrait accepter ça ?
Un jour qui passe, un seul.
Je l’avais pas vu venir, et j’ai rien su faire d’autre que de gerber de désespoir comme tout le mal qu’on se donne…pour rien.
Toi contre moi, nous deux figés dans l’ombre comme pour toujours…j’ai appris à gerber propre, sans trop de bruit, ni de discours, fidèle au gamin terrifié que je suis. A la fin, plus rien ne passait. Il ne me restait que la bile et les brûlures aux tripes et ton absence qui me violentait la nuit, le jour, hier, demain et aujourd’hui.
Je me suis effondré d’une disparition de toi, je me suis vidé, liquéfié et la nuit je partais à ta recherche. C’était pour combler le trou béant, et retrouver la courbe de ton omoplate au petit jour quand mes yeux clignent de bonheur face à ton dos nu endormi. C’était pour sortir le chien aussi, fallait bien qu’il pisse un coup chaque soir. Et je m’assoyais sur le banc, celui en bas de chez moi, un truc en pierres entassées, je crois pas que c’était un banc, juste un tas pour poser son cul fatigué et te chercher…encore.
J’ai encaissé l’acharnement, la soumission, ce qui se fait de mieux en désespoir, l’absence, le manque, la terreur, la révolte, l’absurdité. Tes os brisés. Les cris dans la nuit. La mort de toi.
Pourquoi les gens osent ignorer ça ?
Les gens ont-ils aimé une personne comme toi déjà ?
Non, les gens sont passés à côté de toi.
Moi je t’ai perdu. Est-ce que c’est pire ?
Juste un détour.
Juste ça.
Un détour qui me fera crever.
Dans l’ombre, moi contre toi et mes mains qui te cherchent sans fin. Et ta bouche aussi.
C’était comme d’être un mec qui a de la valeur, un qui illumine ton regard. C’était donner du sens à ce qui n’en n’avait jamais eu pour moi, c’était presque remercier le ciel d’être en vie…si, j’te jure c’était à ce point là…
Je suis fini, je suis perdu, je sais plus comment on peut vivre sans toi, je sais pas comment j’ai fait avant…je devais être mort.
Pourquoi les gens s’en foutent dis-moi ?
C’était toi contre moi…des détours infinis…tes mèches qui chatouillent mon front…ton regard sombre quand j’avais picolé un peu trop…les tartines et le café pas sucré…toi contre moi dans l’ombre et le jour…des griffures, des ratures et ton souffle chaud…
Chaque jour qui passe efface un peu plus.
Mais les gens se moquent de moi, de nous et de ce qui nous a tué…toi d'abord, moi dans un instant... l’un contre l’autre, plus jamais.
Regarde, les gens marchent dans la rue, ils ont froid et accélèrent pour rentrer chez eux, ils sont là sous les lumières de la ville, leur visage sans couleur, ils entrent dans les boutiques, répondent avec acharnement à des appels téléphoniques sans fin, s’excusent de bousculer une mémé qui vieillit comme elle peut, galopent, ferment et ouvrent leurs yeux, mouchent leur nez qui coule…n’ont aucune compassion pour moi qui suit mort de toi.
Derrière le banc qui n’en n’est pas un il y a la rivière en crue.
Dois-je sauter avec mon chien ?
J’enlève ma parka, mes pompes, mon écharpe et je les plie bien sur le banc.
Nan ! Je les balance à la flotte, ça fait même pas flop !
Rien.
Silence.
Je relis ton dernier texto une fois encore et je balance le portable aussi.
J’ai un peu froid, je suis un peu con.
Finalement je marche sur les pavés, dans la rue de l’hiver et le chien a disparu. Je ne trouve plus où j’habite, je cherche un peu sur un plan de la ville éclairée. Je me gratte la tempe en grelottant.
Il y a une personne devant moi, avec des paillettes sur le bout de son nez, et elle me tend un plaid qu’elle avait planqué dans son cabas à roulettes, et je m’envoie une rasade au goulot de sa piquette rouge vinaigre, et mes joues s’enflamment.
Toi contre moi c’est fini.
J’ai sauté du pont en pleine nuit, un ange est venu me protéger du froid et dans la rue de Noël, imperturbables, les gens continuent d’avancer…sans moi, sans toi...
...et le monde encore tourne...je ne peux pas comprendre ça.

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