Keith Olbermann et la Proposition 8

Publié le 13 novembre 2008 par Vinsh

Vous le savez (ou vous vous en doutez), je suis en faveur du mariage entre personnes de même sexe. Etonnant, non ? Vous me direz, ce n'est pas une évidence, vu que plein d'homos sont totalement anti-mariage, ne voulant pas singer les ancestrales habitudes de la société patriarcale hétéro-normée... Je ne suis pas loin de comprendre, mais un droit n'est pas une obligation. Le mariage gay (Dieu que cette expression est vilaine), ce n'est pas l'obligation pour tous les couples de se marier, que je sache? C'est simplement une égalité de droit, la reconnaissance de milliers de couples qui prétendent, comme tous les autres couples, faire leur vie ensemble, et estiment avoir le droit aux mêmes reconnaissances et cadre juridique que les autres pour le faire...
Bref, c'est de l'égalité. Et tant que je saurai qu'il m'est impossible de me marier, je me considérerai un peu comme un sous-citoyen. Pour un point de détail, certes, dans la mesure où je ne suis pas sûr de le vouloir, mais le principe me gêne énormément. Parce que je suis un citoyen qui vaut bien les autres, et que mon couple ne vaut pas moins que celui des autres. Voilou...
Du coup, à mes yeux, le passage de la Proposition 8 en Californie (et de propositions similaires dans d'autres Etats américains, d'ailleurs), la semaine dernière, a quelque peu terni la victoire de Barack Obama, même si tout espoir n'est pas perdu pour les couples gays californiens mariés mais mis dans une situation juridique incertaine...
Que dire, dès lors, de ce commentaire de Keith Olbermann sur MSNBC, prononcé lundi soir ? Le mieux est encore de l'écouter. C'est probablement un peu mièvre, mais la justesse des arguments est frappante. Je ne sais pas s'il va perdre de l'audience après cela, mais je ne le lui souhaite pas. Parce que, oui, du haut de ma froideur naturelle, cela ressemble un peu à ce que je pense de tout ça et des gens qui votent pour déclarer que certaines personnes ne méritent pas de se marier, de fonder une famille, de prétendre au bonheur.
C'est con hein? Bah ouais, mais suis un peu con, moi, des fois...
Voici en substance ce qui est dit:
Comme promis, voici ce soir un commentaire spécial sur le passage, la semaine dernière, de la Proposition 8 en Californie, qui a annulé le droit des couples de même sexe de se marier.
Quelques précisions pour commencer. Il ne s’agit pas de crier, et il ne s’agit pas non plus de politique, et il ne s'agit pas seulement de la Prop-8. Je ne suis pas plus concerné que ça: je ne suis pas gay, je n’ai pas connaissance d’un membre de ma famille, même élargie, qui le soit, je n’ai pas d’histoires personnelles d’amis ou de collègues victimes des préjugés ou d'homophobie.
Et pourtant, pour moi ce vote est horrible. Horrible. Car il ne s’agit pas de crier, et il ne s’agit pas de politique.
Il s’agit du cœur humain, et si ça sonne ringard, tant pis.
Si vous avez voté pour cette proposition ou que vous soutenez ceux qui l’ont fait ou les sentiments qu’ils ont exprimé, je voudrais vous poser quelques questions, parce que, vraiment... je ne comprends pas. En quoi cela vous dérange-t-il ? Qu’est-ce que ça représente pour vous ? Qu'est-ce que ça peut vous faire ? En ces temps de relations éphémères et incertaines, ces gens-là veulent la même chance de stabilité permanence et de bonheur dont vous bénéficiez. Ils ne veulent pas vous retirer la vôtre. Ils ne veulent pas vous prendre quoi que ce soit. Ils veulent ce que vous voulez - une chance d’être un peu moins seuls dans ce monde.
Et vous leur dites "Non. Vous ne pouvez pas avoir la même chose." Peut-être quelque chose de similaire. S'ils sont sages. S'ils ne se font pas trop remarquer. Vous pourriez éventuellement leur donner les mêmes droits juridiques - alors même que vous leur prenez aujourd'hui un droit qu’ils avaient déjà. L'amour et le mariage sont partout autour d'eux, et vous leur dîtes "Non, vous ne pouvez pas vous marier." Qu’auriez-vous fait si quelqu’un avait adopté une loi vous interdisant de vous marier ?
Je n’arrête pas d’entendre ce terme de "redéfinition" du mariage.
Si ce pays n’avait pas redéfini le mariage, les noirs ne pourrait toujours pas se marier aux blancs. Seize Etats avaient des lois écrites rendant illégal ce genre de mariage... en 1967. 1967 !
Les parents du nouveau Président des États-Unis ne pouvaient pas être marié dans près d’un tiers des États du pays dans lequel leur fils a grandi pour aujourd'hui le diriger. Mais il y a pire que cela. Si ce pays n’avait pas de "redéfini" le mariage, des Noirs ne pourraient toujours pas se marier... à d’autres Noirs. C’est l’une des plus méconnues et des plus cruelles facettes de notre triste histoire de l’esclavage. Le mariage n’était pas reconnu entre deux esclaves. Ceux-ci étant considérés comme des propriétés, ils ne pouvaient pas être légalement mari et femme, ou mère et enfant. Leurs vœux de mariage étaient différents: ils n'étaient pas mariés "Jusqu’à ce que la mort, vous sépare" mais "Jusqu’à ce que la mort, ou la distance, vous sépare." Les mariages entre les esclaves n’étaient pas juridiquement reconnus.
Vous savez, tout comme les mariages aujourd’hui en Californie ne sont pas légalement reconnus, si les gens sont... homosexuels.
Et nombreux furent, dans notre histoire, les hommes et de femmes, forcés par la société à se marier à une personne de sexe opposé, dans des mariages hypocrites, ou de complaisance, ou juste des mariages où l'on ne sait pas. Pendant des siècles des hommes et des femmes ont vécu leur vie dans la honte et le malheur, et ont, en se mentant à eux-mêmes et en mentant aux autres, brisé d’autres vies, celles de leurs conjoints et de leurs enfants... Tout ça parce que nous avons dit qu’un homme ne peut épouser un autre homme ou une femme ne peut épouser une autre femme. Le caractère sacré du mariage. Combien de mariages l’ont été, de cette manière? Ont-ils valorisé le caractère “sacré” du mariage, ou bien ont-ils plutôt rendu le terme vide de sens ?
Qu’est-ce que c’est, pour vous ? Personne ne vous demande d’adopter leur façon d'aimer. Mais ne devez vous pas, en tant qu’êtres humains, accepter l'existence de cet amour ? Le monde est déjà bien assez déprimant.
Il s’oppose à l’amour, à espérance, à toutes les rares et précieuses émotions qui nous permettent d’aller de l’avant. Votre mariage a seulement 50% de chance de durer, peu importe vos sentiments ou comment vous vous y impliquez.
Et voici des gens qui sont heureux à l'idée d'avoir cette chance, et qui désirent simplement éprouver ce sentiment. Avec tant de haine dans le monde, avec tant de divisions, et tant de gens qui s’opposent encore à d’autres sans raison valable, c’est ce que votre religion vous dit de faire ? Avec votre expérience de la vie, de ce monde et de toutes ses tristesses, c’est ce que votre conscience vous dit de faire ?
Quand la vie nous confronte sans cesse au malheur et à la haine... c’est ce que votre cœur vous dit de faire ? Vous voulez sanctifier le mariage ? Vous voulez honorer votre Dieu et l’amour universel que vous estimez qu’il représente ? Alors répandez le bonheur - ce minuscule, symbolique, sémantique grain de bonheur - partagez-le avec tous ceux qui le demandent. Citez-moi n’importe quelle phrase de votre chef religieux ou d’un livre sacré qui vous dit de vous élever contre cela. Et puis, dites-moi comment vous pouvez croire en cette déclaration et en une autre déclaration, qui dit seulement: "Ne faites pas aux autres ce que vous n’aimeriez pas qu’ils vous fassent."
Votre pays, ou peut-être votre créateur, vous demande maintenant de vous tenir d’un côté ou de l’autre. Vous êtes maintenant invité à vous positionner, non pas sur une question de politique, et non pas sur une question de religion, non pas sur une question d’orientation sexuelle. On vous demande maintenant de vous positionner, sur une question d’amour. Vous devez juste prendre position et laisser cette petite braise de l’amour face à son destin. Vous n’avez pas à l’aider, vous n’avez pas l’applaudir, vous n’avez pas à vous battre pour elle. Il suffit de ne pas l’enterrer. Il suffit de ne pas l’éteindre. Car même si cet amour concerne deux personnes que vous ne connaissez pas, que vous ne comprenez pas et que vous ne voulez peut-être même pas connaître... Il est, en fait, la braise de votre propre amour, que vous avez pour votre prochain.
Tout simplement parce que c’est le seul monde que nous avons. Et que les autres comptent, aussi.
Pour la deuxième fois en dix jours, je conclurai avec le plaidoyer pour l’acquittement de son client de Clarence Darrow, dans un procès pour meurtre.
Mais ce qu’il a dit au juge, correspond vraiment au cœur de mon propos:
“I was reading last night of the aspiration of the old Persian poet, Omar-Khayyam.
It appealed to me as the highest that I can vision.
I wish it was in my heart, and I wish it was in the hearts of all:
So I be written in the Book of Love;
I do not care about that Book above.
Erase my name, or write it as you will,
So I be written in the Book of Love."
...
Good night, and good luck.