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Hervé Guibert vivant
Publié le 17 novembre 2008 par JlkEn relisant Le protocole compassionnel
Plus Hervé Guibert approche de la mort et meilleur écrivain il se révèle. L’affirmer n’est pas soumettre l’esthétique à l’existentiel mais reconnaître la pureté d’une parole dont on ne peut ignorer qu’elle est prise à la gorge. Il y a là ce que Chestov appelait une révélation de la mort.
Beaucoup plus que Zorn, dont le témoignage certes impressionnant a fait date, mais qui tenait essentiellement du discours étranglé, Hervé Guibert affirme la victoire de l’écriture sur la mort par une manière de transfiguration profane. Tous ses livres précédents étaient déjà marqués par cette façon très singulière de faire du roman (ou disons de la fiction entée sur la vie) avec le tout-venant de ses jours, mais on n’y sentait pas alors l’urgence à la vie à la mort qui saisit dans Le Protocole compassionnel, où se trouvent également liquidées les scories stylistiques (périodes à la Thomas Bernhard ou détails anecdotiques) d' À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie.
Voici donc Hervé Guibert sûr de mourir, faible comme un « p’tit polio » et paraissant déjà nous regarder de l’autre rive, qui raconte cependant la vie, belle et laide, comme jamais il n’y était parvenu jusque-là. L’énergie d’écrire, il la trouve dans les doses de DDI que son ami Jules parvient à lui procurer. L’y aide également une jeune soignante, « râleuse aux cheveux ébouriffés gominés et aux chaussures plates de boxeur », dont l’insensibilité n’est qu’apparente ; quelques médecins restés humains et sa grand-tante Suzanne de nonante-cinq ans, qu’il retrouve dans une scène poignante.
À l’opposé de Zorn qui accusait la société de l’avoir « éduqué à mort », Hervé Guibert s’ouvre au monde avec une espèce de sainte candeur. Un vieil homme foudroyé par une crise cardiaque à Montparnasse, les animaux du paradis terrestre d’un cloître italien ou encore ce jeune homme qui lui demande de se dévêtir pour « voir ce que c’est », nourrissent cette danse très pure que devient pour lui l’écriture devant la mort, comme, nu, il esquisse le geste de boxer dans le vide.
« C’est quand j’écris que je suis le plus vivant, écrit enfin Hervé Guibert. Les mots sont beaux, les mots sont justes, les mots sont victorieux. »