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Du snobisme mimétique

Publié le 18 novembre 2008 par Jlk

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Sur une observation de René Girard 

Les emballements de la mode ne datent pas d’hier, même en matière de livres nouveaux, et une preuve de plus en en est donnée par René Girard, dans Mensonge romantique et vérité romanesque, à propos d’un passage du second Don Quichotte qu’il rapporte aux phénomènes contemporains de la médiation double.« Dans la médiation double, précise Girard, on ne désire pas tant l’objet qu’on ne redoute de le voir possédé par autrui ».
Et de citer Cervantès à propos d’Altisidora, la suivante de la duchesse qui, feignant d’être morte puis de ressusciter, mystifie DonQuichotte en décrivant aux assistants son séjour parmi les ombres :
« Je parvins jusqu’à la porte, où je trouvai une douzaine de diables qui jouaient à la balle, tous en chausse et en pour point. Ils portaient des manchettes de même, laissant quatre doigts de bras dehors afin que les mains en parussent plus grandes. Leurs raquettes étaient de feu. Mais ce qui me causa le plus d’étonnement, c’est qu’ils se servaient de livres au lieu de balles. Et ces livres étaient remplis de vent et de bourre ! chose merveilleuse et nouvelle. Néanmoins cela ne me fit point tant ébahir que, bien qu’il soit naturel à ceux qui gagnent de se réjouir et à ceux qui perdent de s’affliger, tous grondaient, tous grognaient et tous se maudissaient… Il y a une autre chose qui m’étonne aussi… c’est qu’à la première volée la paume ne pouvait plus servir; de sorte qu’à chaque coup les livres vieux et les nouveaux se multipliaient que c’était merveille ».
Alors Girard de commenter cette allégorie d’un jeu signifiant une rivalité croissante et de plus en plus hargneuse, telle que nous la connaissons aujourd’hui sous des formes exacerbées dans la surenchère du snobisme culturel : « Toutes les valeurs sont emportées dans ce tourbillon. Modèles et copies se renouvellent de plus en plus vite autour du bourgeois qui n’en vit pas moins dans l’éternel, éternellement extatique devant la dernière mode, la dernière idole, le dernier slogan. Les idées et les hommes, les systèmes et les formules se succèdent en une ronde toujours plus stérile. C’est là le vent et la bourre que se renvoient les joueurs démoniaques d’Altisidora. Comme toujours chez Cervantès, les aspects littéraires de la suggestion sont particulièrement mis en relief. A chaque coup de raquette, « les livres vieux et les nouveaux se multipliaient que c’était merveille. On passe peu à peu des romans de chevalerie aux romans-feuilletons et aux formes modernes de la suggestion collective, toujours plus abondante, toujours plus obsédante… C’est ainsi que la publicité la plus habile ne cherche pas à nous convaincre qu’un produit est excellent mais qu’il est désiré par les Autres »…


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