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104- La rencontre

Publié le 25 novembre 2008 par Marinatorre
Assise dans le métro Clara observait les gens. C’est marrant les gens. On peut leur inventer des histoires aux gens. Y en avait une on aurait dit un fion de poule croisée avec un sèche-cheveux. Elle avait des lunettes en écailles et un manteau trop grand. Elle était toute plissée et pincée.
Y avait une fille aussi. En voie de péroxidation avancée. Avec un grain de beauté placé de telle sorte qu’il y était forcément rajouté. Pas si belle et pas si moche.
Si ça se trouve les gens regardaient Clara aussi. Mais elle avait d’autres choses à faire, bien plus sérieuses celles-là. Le médecin appelé d’urgence la veille n’avait poussé son talent que jusqu’à obtenir pour sa patiente un rendez-vous à l’hôpital chez un de ses amis. Et bien sûr, pas l’hôpital du coin. Sans hésiter, l’invalide avait préféré s’y rendre de la façon la moins commode. Le métro, elle ne le prenait pas souvent, et puis, elle n’aimait pas les médecins. Ça lui faisait transpirer les mains. Alors, si elle pouvait retarder l’échéance... Avec beaucoup de chance, un suicidé choisirait sa ligne à elle pour en finir avec le désespoir… Eh ben non, c’est toujours au mauvais moment que les dépressifs décident de s’en sortir.
Clopin-clopant (elle aimait beaucoup l’expression et nettement moins son application), elle trottinait ses béquilles jusqu’au quai et ne s’attendait même pas à ce qu’on l’aide. Pourtant un homme le fit. Une voix en velours côtelé. Complet veston, chic, sobre et décontracté. Ce mec là lui tapa d’abord dans l’œil puis dans la béquille. En l’aidant à se relever, il croisa la flamme verte de son regard. Il proposa à la belle pyromane de l’accompagner. Elle acceptât la proposition, mais restreinte au périmètre des escaliers, d’autant plus périlleux qu’ils étaient bondés.
Et ils gravirent la pente raide et sale. Il la soutenait. Elle tentait de déterminer la marque de son parfum. Décidément, les escaliers, quel lieu de rencontre! Puis ils se séparèrent parce qu’il était encore trop tôt dans leur histoire pour se rouler un patin.
A l’hôpital, on la fit patienter. Parce que dans un hôpital, comme dans les administrations, patienter fait partie du voyage. Par certains côtés c’en est même l’objet principal. Mais passons.
Clara poireautait, au fond d’un couloir étroit ; devant une secrétaire aigrie, qui, par définition, lui avait gueulé dessus. Qui pouvait bien avoir le culot de la déranger ? Elle, Dame de L’accueil ? Noble femme dévouée pour un métier ingrat qui consistait, vue la façon dont elle le pratiquait, à rendre l’entrée dans l’Hôpital presque plus désagréable que la raison qui l’avait elle-même causée ? Accueillante.
Etonnement, Clara n’attendit pas beaucoup. Elle s’était pourtant préparée à patienter longtemps, connaissant le lieu et se sachant moins malade que d’autres urgents. Sauf que la Providence s’appelle parfois séduisant chirurgien. Le serviable du métro, forcément. Charmeur génétique, il fendit son sourire irrésistible à Cerbère faite hôtesse. La bonne dame en fut instantanément liquéfiée. Évidemment, il se retourne. Évidemment, il remarque notre Clara et bien entendu l’entraîne dans les méandres de sa machine à guérir. Tout ceci était boité d’avance, Clara ayant toujours la jambe dans le plâtre et le minois alléchant.
Comprenez donc ce ravissant médecin. Il avait la trentaine à tout péter, il était beau puisqu’il était chirurgien. Et en plus il avait passé la décennie qui précédait à bouquiner des pavés illisibles et à faire de la chimie pour finir charcutier. Il vivait seul, donc, parce que la médecine, en période étudiante, ça n’est pas plus glamour que la vie monacale, et que ça laisse juste le temps de fricoter dans une chambre de bonne, avec une gentille fille, bien blonde. Ou l’inverse. Et le voilà, tel Saint Martin partageant sa veste avec un pauvre transi au cœur d’un hiver implacable, qui porte secours à une charmante demoiselle au regard lumineux, prête à devenir son Grand Amour. A l’instant. Elle avait des cheveux courts comme un écolier anglais, il aimait les crinières de lionne. Il aimait les nanas plantureuses et altières. Elle était une planche à pain montée sur des guibolles de crevette. La petite Clara, c’était la femme de sa vie, je vous dis.
Il emmena son butin dans d’interminables défilés de couloirs, d’une porte coupe-feu à une autre porte coupe-feu, dans ce territoire inhospitalier dont il avait fait sa tanière. Il la mit dans les mains du meilleur, parce qu’on ne fait pas soigner la cheville de son épouse par un mou du bulbe. Et il s’en retourna à sa plomberie.
Clara fut entourée d’attention. C’était un bijou inestimable, une fleur rarissime que le moindre souffle d’air vicié aurait pu détruire à tout jamais. Il avait raison de la bichonner le David (c’est le chirurgien, bande d’abrutis). Il ne fallait pas la laisser partir, elle était déjà amoureuse. Et quand elle craque, la Clara, elle s’en va. Elle a toujours fait comme ça. Ne lui demandez pas pourquoi, elle a horreur de ce genre d’introspection. N’empêche qu’elle ne se laisse pas avoir facilement, la colombe. Ce n’est pas que ça lui fasse peur, non, c’est qu’elle se sent déplacée. Elle pense qu’il y a des gens qui sont faits pour ça et d’autres non. Et elle pense aussi qu’elle fait partie de la deuxième sorte. Elle a doublement tort, me direz-vous. Sans doute, mais pour une fois, sa bêtise se mit en sourdine, laissant la place à un vacarme de sentiments.
104- La rencontre

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