103- La boite

Publié le 25 novembre 2008 par Marinatorre
En l’aidant à remonter dans son appartement, Mireille se disait que cette journée allait lui fournir de quoi clavarder pendant des heures avec le « Taureau Ailé », son ami sur l’Internet. Elle était ravie. D’autant plus que la soirée passée avec sa voisine l’avait particulièrement divertie. Les lampées de Vodka-Cranberries aidant, les deux femmes avaient fait connaissance en s’esclaffant régulièrement.
Clara, sa petite voisine d’en haut habitait dans l’immeuble depuis deux ans. Sa profession, Mireille n’en n’avait pas bien saisi les subtilités, consistait en gros à créer des faillites pour s’assurer des « parts de marché »… Visiblement ça ne plaisait pas beaucoup à Clara. « C’est tellement dommage, elle a un physique pour faire du cinéma », se dit la vieille dame. « Elle a le prénom idéal ». Une peau de sable chaud et d’immenses yeux verts, Clara était en effet fréquemment qualifiée de belle nana. Voire de bombe.
- Une jolie fille comme vous ! Vous devriez faire du cinéma, s’était exclamée Mireille à plusieurs reprises.
- Oui, peut-être, Mais vous savez, j’en ai déjà fait. J’ai écrit des scénarii.
- Ah bon, c’est formidable ! Quel genre ?
- Oh, rosi Clara, vous ne connaîtrez pas… Bon. « Titia Nique » et « Moby’s Dick… »
Ce passé glorieux avait beaucoup fait rire Mireille. Clara et son plâtre frais lui apportaient une bouffée d’air neuf qu’elle se promettait d’inspirer à pleins poumons. Cette jeune pâquerette là, il ne faudrait pas la lâcher. Justement, en gravissant les escaliers vers l’étage supérieur, soutenant la jeune fille de tous ses rhumatismes, le corps ployant, elle aperçu sur le sol quelque chose d’étrange. En tombant, Clara avait un peu arraché la moquette, et, sous la marche fatidique, se découvrait à présent le sol nu. Nu, il ne l’était pas complètement en fait. Une sorte de bout de bois affleurait, sur lequel sa voisine avait sans doute buté, causant sa chute. Mireille posa son précieux fardeau contre le mur et lui montra l’arme du crime. Elle voulut le retirer, mais celui-ci résista. Se battant un peu contre lui, elle fini par le mater, mais ce fut pour faire une découverte déroutante. Elle venait d’ouvrir un trappe dans ce qui s’avérait être une fausse marche. Dedans, il y avait une boîte. Aussi intrigués que peuvent l’être deux enfants s’inventant des mystères, les deux femmes croisèrent leurs regards dans une mimique circonstancielle qui fit pincer le coin gauche de leurs lèvres et sourire le reste. Pratique, Mireille finit d’abord l’ascension, déposa Clara sur son canapé, et redescendit vers la boîte. Elle fouilla la trappe pour vérifier s’il ne recelait pas d’autre trésor, puis remonta avec son butin.
Il était 1h32 du matin. Vous indiquer l’heure n’est pas crucial, j’en conviens, je ne fais que renseigner ceux que les problèmes d’horaire taraudent.
Revenue auprès de sa nouvelle amie, Mireille, s’assit et singea sur son visage une mine de conspiratrice.
- Voyons, voyons, voyons ce que nous avons là, chuchota-t-elle avec une voix médicale. Surtout, cela reste entre nous n’est-ce pas ? Nul besoin d’alarmer la gardienne, du moins pour l’instant. J’irai m’occuper de la trappe plus tard. A cette heure-ci personne ne passera là. Au-dessus de chez vous c’est le dernier étage. Y a les Vigneault qui crèchent et y sont en vacances pour deux mois à Trouville. Je le sais, « Elle » racontait ça au téléphone l’autre jour devant l’immeuble. Ils y vont tous les étés. Ils sont vraiment pétés de thunes, mais question couple c’est plus ce que c’était. Pis, en face y a le petit Gilles, tu sais, celui qui revient toujours en Drag Queen ? Ben y a rien à craindre de lui, il aura du boulot au moins jusqu’à l’aube. Une fois je suis allé le voir chanter. C’est le meilleur. Un amour ce Gilles. Il a vraiment pas de chance avec ses Jules. Tiens, le dernier qui s’appelait Jules, justement, l’a largué pour une danseuse de l’opéra. Tu te rends compte ? Le pauvre. Il était à ramasser à la cuillère à café. Dire qu’il a même plus sa maman pour le consoler. Une salope qui l’a renié. C’est un monde de faire des enfants pour plus leur parler ensuite. Tiens, moi, contre la chance d’avoir des gamins, j’aurai adopté tous les pédés de Paris !
Pendant son laïus, Mireille s’échinait contre la boîte, vainement. Fascinée par ce flot de paroles débité d’une seule traite, Clara n’avait pas eu la présence d’esprit de faire noter à la veille dame qu’elle se trompait de côté. Elles revinrent toutes les deux à elles alors que, d’un élan, Clara se saisit du coffret, le retourna et l’ouvrit. A l’intérieur, une liasse de feuillets retenus par un ruban qui avait dû, en des temps reculés se teinter de reflets flavescents. Un paquet de lettres au contenu prometteur gisait là, bien sagement, comme une petite fille qui écoute en silence la conversation de ses parents pendant un dîner de famille. Clara pris le paquet et entrepris de défaire le nœud, une chaîne s’en échappa suivie d’un pendentif. Après examen, il s’agissait d’un livre minuscule en argent sur lequel était gravé « Düsseldorf ». La jeune femme l’ouvrit précautionneusement. Un tout petit dépliant représentant des vues de la ville y était inséré.
Un « Bizarre. Bis » s’imposait.
Clara s’apprêtait à lire les lettres, lorsque Mireille lui saisit vivement le bras.
- Stop ! N’épuise pas si vite tout la joyeuse satisfaction que recèle cette énigme se profilant derrière cette belle encre bleue ! Attends, attends, patiente comme on patiente quand on est amoureuse et que l’on sait pouvoir assouvir son désir. Ne saute pas si vite sur la bouche de ton amant et profite d’abord du bonheur que son parfum promet. Demain, nous nous lancerons.