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Lire contre vents et marées

Publié le 28 novembre 2008 par Fuligineuse

J’ai souvent pensé, à propos de la fameuse phrase de Montesquieu « L’étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts de la vie, n’ayant jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture ne m’ait ôté », qu’il ne devait pas vraiment avoir eu de grandes peines… Mais ce serait être injuste envers les bienfaits de la lecture que de s’en tenir là. Car la contribution de la lecture et des livres au processus de résilience et de réparation du soi est aussi avérée que largement répandue. C’est ce que prouve le nouveau livre de Michèle Petit (*), « L’art de lire ou comment résister à l’adversité » (éd. Belin).

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« Ce n’est pas seulement lors de désarrois intimes que les livres seraient secourables, mais encore quand surviennent des crises affectant simultanément un grand nombre de personnes », indique Michèle Petit. Ces crises poussent les communautés humaines vers les librairies et les bibliothèques : cela a été observé aux USA lors de la grande crise des années 30, dans divers pays d’Europe pendant la 2e guerre mondiale et plus récemment, un peu partout, au lendemain du 11 septembre 2001.

Le recours aux livres et les ressources qu’ils apportent sont également attestés chez des personnes se trouvant des cas extrêmes : guerres, prisons, camps de concentration, otages… Mais « au-delà de ces situations extrêmes, la contribution de la lecture à une reconstruction de soi après un chagrin d’amour, un deuil, une maladie, etc. – toute perte effectant la représentation de soi et du sens de la vie – est d’expérience courante et de nombreux écrivains en ont fait état ».

Les travaux déjà réalisés ont amené l’auteur à penser que dans cette contribution à la reconstuction de soi, contrairement à ce qu’on pourrait supposer, « l’expérience de la lecture en différait pas selon l’appartenance sociale ou les générations ». Mais cette expérience peut prendre des formes différentes, s’effectuant aujourd'hui « par le biais d’appropriations singulières, voire de détournement des textes lus ». Faute d’initiation familiale ou scolaire, l’accès aux livres se fait souvent grâce « à l’accompagnement chaleureux et discret d’un passeur ayant lui-même goût aux livres, qui avait rendu désirable leur appropriation ». En ce qui concerne les enfants et adolescents, pour que la sauce prenne, il est essentiel que l’activité de lecture soit un espace de liberté dégagé de toute obligation de rentabilité scolaire et de compétition.

Michèle Petit fait état des actions menées notamment en Amérique Latine (Mexique, Argentine, Colombie) dans le cadre « d’étonnantes expériences littéraires partagées, menées par divers professionnels (…) avec des enfants ou des adultes exposés à une relégation sociale plus ou moins accusée, doublée d’adversités multiples. (…) Il s’agit fréquemment de gens engagés dans des luttes sociales et pour qui l’accès à la culture écrite, au savoir, à l’information, constitue un droit trop souvent bafoué. »

Le livre privilégie l’expérience concrète des lecteurs eux-mêmes, par leur témoignage direct ou par celui des médiateurs engagés dans ces actions, auxquels l’auteur donne largement la parole. Et c’est constamment passionnant.

Fuligineuse

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(*) Michèle Petit est anthropologue au LADYSS (CNRS, Université Paris I). Elle mène des recherches sur les pratiques de lecture, particulièrement dans des milieux éloignés de la culture écrite. Elle est notamment l’auteur de Éloge de la lecture. La construction de soi (Belin, 2002), livre dont j'avais parlé ici.


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