On ne s’ennuie jamais dans les trains. Il se passe toujours de ces micro-événements qui font sourire ou qui énervent. Il y a quelque temps, je voyageais en Ière classe. Ambiance feutrée, voix étouffée, tout le monde se la joue bien élevé, luxe, calme, pas forcément volupté mais bon, Ière classe, quoi. Survient une dame de la SNCF avec mission de nettoyer les toilettes. Le fait-elle en cours de voyage aussi en IInde ? Je n’en ai pas souvenir… Luxe, calme et propreté, donc. Un p’tit coup de vapo un peu partout, ça ne fait de mal à personne, pas même à la crasse incrustée depuis des lustres dans les recoins glauques desdites toilettes.
Gants ménage roses, comme il se doit, une belle blouse verte, pour faire sérieux, la dame de la SNCF est plutôt jeune et assez jolie. Emportée par la fragrance musquée qu’elle répand autour d’elle, elle se sent bien, à l’aise, au propre. Un coup d’oeil au miroir, un grand geste de la main pour clarifier la situation et soudain, perdant son bel air de professionnelle, de “technicienne de surface” comme on la nomme probablement sur son bulletin de paie, la voici qui se mire avec passion. Un miroir est fait pour se mirer, et la dame de la SNCF vérifie que celui-ci fonctionne bien. Profil droit, profil gauche, re-profil droit, “le meilleur” doit-elle penser. Grimace à droite, moue à gauche, le gant mapa esquisse un petit geste coquet, rectifiant une mèche décidément rebelle. Ah, un vilain point noir sur le nez… Plisse, louche, difficile de le faire sauter avec les mains engoncées dans ces fourreaux de plastique “résistant à la javer”… Dans l’ensemble, ça va.
La dame de la SNCF se recule un peu, pour jauger l’effet d’ensemble. Pose à droite, pose à gauche, elle se sourit. Heureuse ?
Dans une vie antérieure, quand j’étais plus jeune, j’ai été femme de ménage dans un centre de loisirs. J’avais tous sauf envie de me regarder dans les miroirs des salles de bain…
Du coup, me revient en mémoire une conversation entendue dans une banque dont je fréquente le sas, doté d’une machine à délivrer les billets de train, même pendant la fermeture. Ce soir-là, une équipe de femmes de ménage nettoyait les locaux, derrière le rideau de fer. “Ah, mais elle est dégoûtante, celle-là, t’as vu ce qu’elle met dans sa poubelle ?” assène la première. “Ah oui, elle est répugnante, c’est toujours comme ça avec elle”, lui répond sa copine.
Sachez qu’on ne peut pas, qu’on n’a jamais pu jeter ses détritus tranquille. Il y a toujours quelqu’un pour les interpréter. Quand ce ne sont pas les experts de la police scientifique de Las Vegas - Ah… Grissom… - ce sont les femmes de ménage qui commentent. Sans ménagement.