J'aurais parié qu'en m'apercevant, Mstislav se serait ressaisi maladroitement et aurait rougi de malaise. Mais le grand Slave se rua plutôt dans mes bras pour se faire consoler. À cause de sa carrure et à cause de ma surprise, je pouvais à peine lui donner de petites tapes empathiques dans le dos. Sa musculature n'avait d'égal que ma surprise. Entre deux sanglots, Mstislav me dit:
- Je souis désolé, Dâniel…
- …
- …
- Désolé de quoi, Mstislav?
- Je ne pouvoir pas… finir… sabler plancher!
Puis Mstislav hoqueta de nouveaux pleurs puis se calma.
- Je fais plancher depouis 20 ans. C'est première fois que je fais comme oune femme.
Je ne pus retenir un haussement de sourcils empreint de surprise.
- Que veux-tou... veux-tu dire?
Il resta silencieux, la tête sur mon épaule. Je tentai de l'obliger à se redresser en repoussant ses épaules mais j'étais forcé d'admettre que j'étais sous sa masse, à sa merci. Heureusement qu'il comprit mon malaise et qu'il se releva.
Mstislav sembla revigoré par ma question et quelques secondes plus tard, il eut été impossible de deviner que cet homme pleurait à chaudes larmes sur sa machine quelques minutes plus tôt.
- Vous avez déjà vou oune femme sabler plancher, Dâniel?
Je regardai mon plancher de cuisine et dus admettre que c'était le premier que je faisais sabler. Il m'était donc impossible de savoir si des femmes avaient pour gagne-pain le métier poussiéreux qu'exerçait mon géant pleurnichard.
- En effet, je n'ai jamais vu de femme sabler de plancher. Peut-être est-ce parce que le travail est physiquement trop exigeant pour elles?
Mstislav parut me trouver très drôle et il se montra heureux de mon ignorance.
- Chez-moi, ma femme battre moi si je dis âneries comme ça, dit-il, moqueur.
J'essayai de m'imaginer sa femme et honnêtement, j 'eus un frisson.