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Quand le soleil se brouillait

Publié le 14 novembre 2008 par Unepageparjour

Début de Habélard et Lola

Quand le soleil se brouillait, quand le ciel disparaissait derrière les moutons gris, quand la pluie d’été normande frappait le bocage d’un crachin frais et piquant, Lola s’engouffrait dans sa vieille tente de camping, que Monsieur Robert l’avait autorisée à planter au fond de son pré.

La première fois, prise au dépourvu, trempée, frigorifiée, elle s’était agenouillée sous les jambes d’Aicha, impassible au temps, qui pâturait avec élégance l’herbe mouillée. Au retour d’un soleil pâle, Lola, serrée contre la jument, s’était séchée dans sa chaleur douce. Mais, le soir, elle avait cherché avec énergie dans le grenier poussiéreux la petite tente qui ne devait pas servir cette année-là.

Le montage de la tente fut l’occasion d’un jeu avec le poulain, rempli du plus grand étonnement devant ce tissu rose bonbon qui s’étalait sur le pré. Lola eut le plus grand mal à le dissuader de se coucher dessus. Cherchant l’inspiration, il lui vint soudain l’idée de s’en encapuchonner, en poussant des grands cris, et battant des bras comme une chauve souris géante qui se serait échappé d’un dessin animé fantasmagorique. Effrayé, Habélard demanda aussitôt protection aux flancs de sa mère, et resta ainsi longtemps, le regard circonspect, prostré contre la jument, étudiant chacun des gestes de Lola avec une certaine prudence, de loin, sans s’enhardir d’avantage à vérifier de plus près la nature exacte de cet engin fluorescent.

Le montage terminé, facilité par la rincée de la veille qui avait rendu la terre souple et accueillante, Lola revint vers Habélard et, le tenant par l’encolure, l’amena doucement jusqu’à sa tente, le laissant renifler à sa guise les piquets accrochés dans l’herbe, les cordes tendues, le tissu, le toit pointu. Elle lui en ouvrit l’entrée et l’invita à y passer les naseaux, en le flattant et lui murmurant des choses gentilles à l’oreille. Mais la visite lui sembla suffisante, et, d’un petit cri vif, il revint vers Aicha, lampa quelques traits de lait chaud, et s’endormit, sans plus y penser, finalement.

Avec le temps, la tente rose bonbon s’acclimata au reste du paysage, et le poulain en comprit petit à petit le fonctionnement. Après chaque averse, dès que les nuages se déchiraient sous les assauts du  soleil et que les premières grandes traînées bleues s’enhardissaient dans le ciel, Habélard entrait sa tête dans l’embrasure, pour prévenir Lola, qui, selon son humeur, enfilait sa paire de bottes cirées jaunes, qu’elle avait pris soin de poser au fond de la tente, ou bien, retirant ses baskets et ses chaussettes, elle allait pied nus sur la terre humide, heureuse de donner en dégustation à ses orteils l’herbe glissante et odorante des jours de pluie.

Lola la tente rose bonbon sous la pluie

Illustration de Coq (c)


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