Indiana Fyfe

Publié le 04 décembre 2008 par Fyfe
L'heure est grave.
Depuis le début du squattage de l'alien, je vais de découverte en découverte.
Quand je pense qu'un des trucs qui m'angoissait le plus avec l'idée de faire un bébé, c'était l'idée d'avoir à mettre fin à ma vie inconsciente, inconsistante, libre et pleine d'aventures, haha, non mais haha.
Etre enceinte, c'est ramener Indiana Jones à sa banale réalité de garçonnet qui fait quelques bêtises dans la jungle.
Porter un alien dans son ventre, envisager de l'expulser par des voies naturelles, et effleurer l'idée d'en avoir la responsabilité pour les X prochaines années (X étant un multiple de 20), ça, oui, ça, c'est de l'aventure.
J'apprends des choses tous les jours. Sur moi-même, sur les autres, et sur les bizarreries de l'anatomie humaine.
Par exemple, j'ai récemment réalisé que j'aurais dû faire ma vie avec un ostéopathe.
Evidemment, je ne suis pas complètement folle, je ne vais pas remplacer M. PetiteGraine dont le dévouement n'a d'égal que l'infinie patience.
En revanche, j'étudie sérieusement la possibilité de prendre pour amant un de ces hommes qui savent s'occuper de mes vertèbres avec amour, libèrent mes lombaires, débloquent mon pubis, dégagent mes cervicales.
La dernière fois, quand il m'a pris dans ses bras, son corps étroitement serré contre ma poitrine presque nue, son nez dans mon avantageux décolleté, quand il m'a allongée d'un geste brusque sur la table, et quand j'ai entendu ce son si caractéristique du plaisir qui allait m'envahir (craaaaaaaac-craaaaaac-craaac-crac), mon cœur a fondu, et j'ai su que j'aurais envie de le revoir chaque semaine.
J'ai versé une larme de bonheur, je crois.
J'ai aussi pu constater que hormis les ostéopathes qu'il faut épouser, le reste de l'engeance humaine était principalement constituée de rats.
En huit mois de grossesse, j'ai comptabilisé en tout 5 personnes qui se sont levées pour me laisser leur place dans les transports en commun parisiens, et zéro qui m'ont laissée passer devant eux à la caisse.
Ce chiffre doit être comparé à quatre autres :
- le nombre de personnes qui a fait semblant de ne pas voir que j'étais enceinte (et oui. 15 ans d'aérophagie au compteur) malgré mes efforts pour exhiber ostensiblement mon état baleinesque : chiffre évalué à 500 000
- le nombre de fois où je me suis résolue à contre cœur à m'imposer à la caisse prioritaire (vous savez, celle où il est écrit : "A cette caisse, vous vous engagez à laisser passer les handicapés et les femmes enceintes) : 1
- le nombre de fois où j'ai essuyé une remarque désagréable après m'être imposée à une caisse prioritaire ("ouais ben nous ça fait deux heures qu'on attend") : 1 fois
- le nombre de fois où j'ai essayé de tuer les gens avec mes yeux : environ 500 000
(Hulk sort de mon corps, viiiiiiiiiiiite)
Sinon, mes découvertes quotidiennes relatives à l'importance de tel ou tel organe dont je n'ai désormais plus vraiment l'usage en raison d'un écrasement intérieur dudit organe par l'alien est une source éternelle d'émerveillement (ah maizalors un estomac ça servait donc à çaaaaaaa ? Mmmmmm très intéressant, et on peut s'en resservir après ou pas du tout ? Et la vessie ? Aaaaaaaaaaah d'accoooooooord !).
J'ai aussi eu le plaisir de découvrir que ce corps humain dont on vante tellement les mérites laissait quand même un peu à désirer.
Il semblerait en effet que le corps ne soit pas capable de gérer deux horloges biologiques distinctes : la mienne et celle de l'alien.
L'horloge de l'alien est basée sur un sommeil principalement paradoxal, donc léger, par séquences courtes, et tout à fait déconnecté des obligations matérielles qui font mon quotidien (du genre : se lever le matin pour aller bosser, ne pas faire la sieste sur son bureau, dormir la nuit, etc etc).
La mienne n'est pas très contrariante à ce stade, je veux bien dormir n'importe quand dès qu'on m'en laisse l'occasion, mais faudrait en parler à mon boss qui a l'air de penser que quand je suis au travail c'est pour travailler (l'étroitesse d'esprit des gens, pffff...).
Si je résume, on essaye de nous vendre depuis des siècles la nature qui est soit disant si bien faite, le cerveau sensé être plus performant que le plus puissant des ordinateurs, blablablablabla, alors que le bouzin bugge si l'un de nous deux dort. Non mais je rêve. C't'arnaque.
J'ai bien essayé de ramener l'alien à plus de raison, de faire preuve d'autorité, de cajoleries, mais rien n'y fait. Il refuse de me laisser dormir la nuit, mais pionce toute la journée, quand moi je peux pas.
Ça promet pour la suite, on n'est pas sortis de la jungle avec ces histoires de sommeil décalé j'ai l'impression.
Voilà voilà.
Il reste donc un mois et demi à tenir. Tout va bien, en somme.
Mais c'est épuisant la vie d'aventurière.