Un oiseau tombé dans l'eau en dessous du nid.
J’ai bu une gorgée de café, ça m'a brûlé la langue.
Je sens qu'il ne va rien se passer, je n'ai que du gris...encore.
Demain je le vois, je le regarde droit dans ses deux yeux et ça pleut des météorites dans mon intérieur.
SINGLE.
Et si je m'allumais un clope pour pas que mon café s'emmerde de trop tout seul dans sa tasse coca-cola?
Un avion passe dans un bruit mortel. Mur du son.
Je vais m'enfumer en imaginant encore sa tronche, et encore lui, et encore...
Je lance le PC pour divertir. Il fait son bip de démarrage.
Ma cage, mon point de départ, mon compte est bon.
Mon père va gueuler que je smoke dans la piaule. Alors j'ouvre en grand la fenêtre. Mon père n'est pas là. Mais c'est pour quand il rentrera d'en bas. Le truc qui fait l'angle avec son enseigne PMU qui s'illumine la nuit.
Les fleurs pourrissent sans eau dans le vase.
Déjà depuis un mois, la nuit c'est 18 heures.
Je flippe, ça craint le sombre du soir.
Mais mon écran me fait le jour...
Alors j'inspire, j'expire, soupiration maximale avant la plongée...
Comme c'est encore l'heure d'être en cours, il n’y a personne sur la toile.
En fait, c'est une bière qu'il me faut. Sauf que j'aime pas l'amertume.
Mon clope va se finir, j'ai peur de ce que je vais m'ennuyer après.
Alors j'implore. Et comme c'est beau, presque j'en chiale, mais non.
Mon frère le grand tape à ma porte, suis sauvée en vrai ?
-T'es pas en cours?
-Et toi?
Il sourit et vient caresser mes cheveux.
-S'il tient encore debout en rentrant, le vieux va gueuler...ça pue la nicotine ici...
-Tu lui as fait mal la dernière fois...où c'est que t'as appris à te battre comme Ali?
-T'as jamais eu envie de lui rendre les coups toi?
Là, je ne peux pas répondre. Suis rien qu'une fille paumée qui ne sait pas répondre à ça.
Alors mon frère m'a taxé mon mégot et j'ai posé ma tête contre lui. Mais pas longtemps. Et il est sorti. Avec mon mégot.
Alors la nuit quand je dors, moi aussi j'enfile mes gants de boxe et mon coeur durcit.
Et j'oublie mon jour d'anniversaire, et les chaînes que je traîne à mes chevilles...c'est mort.
Là où tout est mort.
Mais qui est chiche ?
Demain je pousse la porte lourde, je croise son visage, je peux toucher ses mains, je retrouve l'odeur...je me concentre sur lui, parce qu'il ne me reste que ça.
Sa peau et les cicatrices, le regard qui m'agrippe, le son de ses pas fatigués lorsqu'il marche vers moi. Le temps qui passe.
Ma main sur la souris va et vient. Clic gauche, clic droit.
Je suis une caricature de ce qui se fait de plus glauque dans les manuels de l'ITS.
Et pour oublier qui je suis, je mets du son. Un peu fort. Faudra revenir après...
Je bouge mes lèvres. On dirait que de chuchoter ce morceau…apaise. Mais pas en vrai, pas au fond. Trêve de surface.
Je sors ma boite à cachetons, je l'ouvre, elle est rose bonbon, je gobe un taz.
Et je claque la porte en sortant.
Il n'y a plus, il n'y a jamais eu, il n'y aura pas...de trêve. Je paie pour ça.
Mon coeur s'accélère, je dévale l'escalier, ça fait trois étages de marches, toutes avec une taille différente...de palier en palier, je m'exporte. Je plonge jusqu'au sous-sol pour récupérer mon vélo que mon frangin le grand a volé à mon cousin le moyen.
Qui nous remonte? Qui nous sauve? Qui nous regonfle?
Le pneu arrière est crevé. Je m'accroupis dans la poussière de la cave, je frotte mes yeux pour ne plus que ça coule et je passe ma langue sur mes lèvres. J'ai soif, ça craque comme le désert.
Tout en accéléré et je sens que je m'y perds.
Demain, je m'accroche à ses yeux, c'est promis! Ouverts ou même fermés je m'accroche. Je griffe, je mords, je tue si on m'empêche. J'm'en fous, même pas peur...
Demain quand je le vois, je fais comme si on n'avait jamais été séparé, je fais comme si pas de marque à ses poignets, je fais comme si personne n'allait tomber les deux genoux dans la mare de boue.
Je fais ça.
Demain...
Car rien n'a changé, tout va bien, le mal cicatrise comme une ampoule de godasse neuve en promo; suffit de serrer les dents quand on marche un peu trop longtemps...
Et je fredonne, et je frissonne.
...demain, ton regard sera mort. Tes cheveux seront toujours aussi jaunes et bouclés. Ta peau sera blanche et crispée comme les doigts de ta main. Tes pieds resteront posés bien à plat sur le sol. Ta gorge sera vide de mots, tes lèvres collées, figées, statuées.
...demain tu es déjà mort pour le monde. Tu es là, assis sur ta chaise au milieu des autres cinglés de nos jours, et nous n'avons pas vingt ans mais déjà notre vie est volée.
Déjà tu es bridé.
Déjà la société nous a fracassé.
...demain, je pousse la porte et l'infirmière me dit « pas trop longtemps mademoiselle, votre ami est encore fragile ».
...demain je touche ta main et je griffe doucement ta paume pour que tu bouges vers moi, mais rien.
...demain je croise ta mère en pleurs, c'est déjà la quatrième hospi pour toi depuis le début de l'année scolaire.
...demain je pose mes lèvres sur les tiennes et tu me réponds que t'en peux plus, que tu voulais crever pour de vrai cette putain de fois.
Et moi, je fais comme si t'avais rien dit.
Parce que tu n'as rien dit.
En vrai, ça va passer...
...demain c'est de l'autre côté de la berge...je t'appelle, je te secoue, je te chuchote des trésors...
Si l'un s'enfonce l'autre s'écroule, c'est un pacte insensé, c'est un pacte imposé...
SINGLE.
Ne rien craindre de demain.
Un Mars et après ça repart.
Mais lequel, de toi ou moi, tombe dans l'eau dessous le nid…le premier ?
Qui balance la bouée ?