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A la rentrée suivante

Publié le 08 décembre 2008 par Unepageparjour

Début de Habélard et Lola

III

A la rentrée suivante, Lola était en troisième au collège Pierre de Nolhac, à Versailles. Plus de car scolaire brinquebalant dans les chemins creux du bocage, mais la lente traversée de rues éperdument grises, dont les noms évocateurs de guerriers endeuillés, de Maréchal Foch, de Général Hoche, de Général Joffre, rattachaient sans cesse cette ville bizarre aux démons d’un passé qu’elle n’arrivait pas à oublier.

Aux récréations, Lola se surprenait à retrouver les mêmes visages, les mêmes attitudes que dans son petit collège de campagne. Les mêmes filles maquillées, dans les bras des mêmes garçons aux nuques massives et aux poings épais. La différence était ailleurs. Dans ce carré de gazon trop vert, trop ras, trop étroit, sans arbre pour rêver, sans fleur pour y laisser flâner son esprit, sans odeur, sans vers de terre, sans merle à l’œil rond. Le bitume avait dévoré la cours. Lola s’ennuyait, assise sur le parapet du fond, sans ami pour gambader.

Heureusement, Lola se retrouva dans la classe de Mademoiselle François, Agathe-Aglaé François, professeur d’éducation physique et sportive. Guadeloupéenne d’origine,
Agathe-Aglaé fut quelques années considérée comme l’une des plus prometteuses athlètes de sa génération, spécialisée dans les course de demi-fond, jusqu’au jour, où, après une mauvaise chute, elle avait du abandonner la compétition.  Alors, quittant son île parfumée, elle s’était retrouvée ici, à Versailles, face à ces enfants bien nés, peu motivés pour l’effort physique et le combat contre soi-même.

Mademoiselle François, comme chaque début d’année, emmena sa petite troupe ronchonne dans le bois de Fausses-Reposes, pour leur dégourdir les poumons et mesurer leur capacité de résistance. Lola s’étonna de cette professeur, si différente de tous ceux qu’elle avait connus jusqu’ici, qui restaient planqués sur leur rondin de bois, attendant que le cours se terminât. Agathe-Aglaé courait avec eux. Elle les encourageait de la voix, ramenait les retardataires, poussait les flemmards, redressait une silhouette tordue, allongeait la foulée d’une autre, conseillait un troisième. Lola restait devant, mais dès qu’elle accélérait, Agathe-Aglaé la rattrapait, lui demandant de ralentir. Ils devaient tous courir ensemble. Alors, Lola ralentissait, amusée d’entendre dans son dos le souffle rauque des garçons massifs. Puis, l’heure venue, il fallut marcher, pour permettre aux toxines de s’évacuer lentement. Les mots d’Agathe-Aglaé restaient toujours précis, pédagogiques, sans emphase ni cris inutiles. On l’écoutait. Contrôle du pouls. Comme d’habitude, Lola annonçait quarante-deux quand les plus forts donnaient fièrement soixante-dix, la plupart s’arrêtaient sur quatre-vingt et quelques uns, le visage rouge et le souffle court, dépassaient encore les cents pulsations à la minute. Comme d’habitude, Lola entendait des ricanements moqueurs. Mais, cette fois, la professeur s’approcha d’elle, étonnée. Elles marchèrent côte à côte, en silence, puis Mademoiselle François prit le poignet de la jeune fille dans ses doigts, et compta. Sans rien dire. Elles marchèrent encore. Elle compta de nouveau. Elles marchèrent une troisième fois. Puis attendirent, sans bouger. Elle recompta. Trente cinq. Trente cinq. Trente cinq.

Lola distingua un filet de larmes dans les yeux de la jeune femme. Qu’elle essuya bien vite d’un beau sourire.

Trente cinq ! Sais-tu ce que cela veut dire, Lola ?

Non, Mademoiselle, je ne sais pas.

Tu es meilleure que moi. Tu as un potentiel énorme, incroyable ! Je n’ai jamais vu cela !


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