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10 décembre : anniversaire de la déclaration universelle des droits de l'homme

Publié le 10 décembre 2008 par Didier T.

J'aurais pu parler d'ailleurs. Mais j'ai eu envie de parler de pas loin, d'ici, plutôt. Merci à Isabelle, Arménienne habituée à dénoncer les injustices, même si elles ne la touchent pas directement, mais toutes les injustices la touchent...
Donc voilà deux textes, du même auteur, mais ils méritent d'être lus et peut-être médités.
1er texte
Lettre de démission du Haut Conseil à l’Intégration.
Monsieur le Président du Haut Conseil à l’Intégration,
J’ai le regret de vous présenter ma démission du Haut Conseil à l’Intégration.
Cette institution qui regroupe des membres d’horizons idéologiques divers et qui est libre en principe dans ses prises de position, ne remplit plus à mon avis la haute fonction qui lui était assignée de réfléchir profondément sur les problèmes relatifs à l’intégration et de faire des propositions au gouvernement. Elle passe maintenant pour une simple caisse d’enregistrement de la politique gouvernementale et intervient très peu dans le débat public bien que de nombreux problèmes relevant de l’intégration ne cessent d’insister dans l’actualité.
Nous nous sommes efforcés, durant ces dernières années, de faire progresser la réflexion sur toutes ces questions et nous pensons que les travaux du HCI ont fait quelque peu avancer les choses, notamment dans la prise de conscience que la république française devrait s’ouvrir à la diversité afin de mieux assumer l’identité citoyenne collective. Avec l’apport de tous ses membres, le résultat des travaux du HCI ne peut être jugé comme étant négatif.
Or, aujourd’hui, je constate que si la nomination de ministres ou de préfets issus comme on dit de l’immigration peut manifester un signe d’ouverture à la diversité composant la France, en revanche, la politique gouvernementale actuelle s’est durcie malheureusement concernant l’immigration rendant ainsi plus difficile la politique d’intégration. En outre, le Ministre de « l’intégration, de l’immigration et de l’identité nationale », malgré ses dénégations, semble renouer avec une conception nationaliste et conservatrice de l’identité nationale qui heurte mes convictions profondes quant à la question de l’intégration. J’ai mal accepté la création d’un ministère qui prétendrait gérer « l’identité nationale ». Cela rappelle à maints égards certains aspects de la politique poursuivie par le Gouvernement de Vichy. De surcroit, ce ministre s’est même senti autorisé de convoquer à Vichy les ministres de divers gouvernements de la communauté européenne sur toutes ces questions épineuses. Même si une ville et ses habitants ne peuvent être retenus pour responsables du passé, cette décision politique est très symbolique. Elle signifie une fermeture quant à la prise en compte de toutes les mémoires constituant une reconnaissance de la diversité pour mieux affirmer une identité collective plus solide et plus apaisée et en tant qu’Antillais ces questions sont pour moi essenteielles. L’enrichissement d’une mémoire publique commune ne peut qu’amener plus d’unité avec la reconnaissance des injustices passées, évitant ainsi le piège du communautarisme et renforçant l’identité républicaine.
Enfin, même si le HCI est indépendant en principe du gouvernement en place, son silence concernant les dérives graves sur la politique actuelle en matière d’immigration et d’intégration est à mes yeux inacceptable.
Pour toutes ces raisons donc je ne peux continuer honnêtement d’être membre du Haut Conseil à l’intégration.
Jacky Dahomay
Professeur de philosophie au Lycée de Baimbridge (Guadeloupe)
2ème texte
Le cynisme des chiens.
Le récit ahurissant fait par un enseignant du Gers concernant l’intrusion dans sa classe de gendarmes et d’un chien, m’a littéralement bouleversé. Et j’ai pleuré. De rage bien entendu. Je suis un vieil enseignant, à la veille de la retraite. Ce métier a été ma seule vocation. Je me suis toujours tenu pour le seul maître dans ma classe après Dieu (s’il existe bien entendu !) et personne n’y rentre sans mon autorisation, ni chef d’établissement, ni inspecteur, ni ministre et, à fortiori, ni gendarme ni chien. Impossible ! A moins d’un cas de force majeure grave que le chef d’établissement devra m’expliquer au préalable. Je le dis donc tout net : si une telle chose m’arrivait je donnerais l’ordre aux élèves de désobéir. Telle est mon éthique de professeur. J’estime ma mission d’enseignant plus haute que ma propre sécurité. En vérité, depuis quelques années, les enseignants s’accommodent de bien de choses inacceptables. Oublient-ils ce principe républicain qui veut que l’instruction publique vise aussi à former des citoyens incommodes ?
Comment en est-on arrivé là ? Tout se passe aujourd’hui comme s’il y avait une redoutable confusion des rôles, des institutions comme de leurs fonctionnaires .De toute évidence, au niveau des responsables de l’Etat comme au sein de la population, il y a confusion entre l’espace public propre à l’école et d’autres formes d’espaces publics ou communs. Or, l’école n’est pas publique au sens ou peuvent l’être les chemins de fer, les télécommunications ou la place du marché. Cela fait des années qu’on croit bien faire en ouvrant l’école sur l’extérieur. La rue y est rentrée, avec son lot de désagréments. Si la rue peut enrichir l’expérience, seule l’école donne une véritable instruction. Comment des vérités aussi élémentaires peuvent-t-elles avoir été oubliées ?
Admettons qu’un policier ait toute légitimité pour procéder à des fouilles dans les aéroports et dans la rue (à condition bien sûr que cela ne s’adressent pas qu’aux basanés !). Cela lui donne-t-il pour autant le droit de se substituer à l’autorité du maître dans sa classe ? On a souvent du mal à distinguer entre le maître qui impose une domination et le maître qui exerce un magistère. Et comme ce principe s’est perdu, le maître-chien, fût-il gendarme, se sent autorisé lui aussi à prendre la place de l’enseignant à l’école. Et quand un magistrat se permet de croire que la peur du gendarme introduite brutalement à l’école est ce qui préservera les élèves de la délinquance on se demande, bien que n’étant pas gaulois, si le ciel n’est pas tombé sur notre tête ! La peur et la répression ont remplacé la mission éducative de l’école. Quel échec ! Sait-on simplement que lorsque le chien et le gendarme se substituent à l’autorité du maître à l’école, c’est que les loups hurlent déjà aux portes de nos villes. Il s’ensuit en général un bruit de bottes sur les trottoirs.
Mon cœur donc gronde de colère et qu’on le laisse faire ! Il y a des moments où la raison raisonnante devient impuissante et laisse place à l’indignation. Toutefois, des chiens, préservons-nous de leur rage et de leur cynisme. J’emprunte cette expression « le cynisme des chiens » à Chateaubriand qui, dans ses Mémoires d’Outre-tombe, l’utilise pour qualifier les révolutionnaires qui, sous la Terreur, bons père de famille, emmenaient leurs enfants se promener le dimanche en prenant soin de leur montrer en passant le dada des charrettes qui conduisaient des citoyens à la guillotine. Le cynisme est dans la contradiction voulue et assumée opposant les grands principes humanitaires qu’on affiche et la pratique quotidienne du massacre de citoyens.
Aujourd’hui, nous avons affaire à une autre forme de cynisme. Dans le spectacle que donne à voir par exemple le Gouvernement actuel de la France. Le président, Nicolas Sarkozy le premier. Loin de moi l’idée de vouloir l’affilier à une quelconque gent canine. Mais son cynisme consiste à affirmer une chose et son contraire, à soutenir un ministre un jour, à le désavouer le lendemain, à parler constamment à la place de ses ministres. Dans son agitation ultra médiatisée, il procède à une véritable désymbolisation constante des institutions de la république. Il y a bien là un travail d’affaiblissement de l’autorité de ces dernières. Pour parodier Hannah Arendt, disons qu’il y a aussi perte d’autorité quand les adultes refusent d’assumer le monde dans lequel ils ont mis les enfants, les vouant ainsi à une culture de la violence. Le refus de l’éducation est l’étalage de la répression et le culte de la sécurité. On croit que la sécurité n’est qu’une affaire de police alors qu’elle réside avant tout dans le contrat liant les citoyens, contrat implicite et symbolique comme sortie de l’état de nature. C’est ce refus de l’éducation qui pousse à vouloir incarcérer des enfants de 12 ans. Reste maintenant à obliger des psychiatres à inventer une substance antiviolence qu’on inoculerait aux femmes enceintes, sans leur consentement bien entendu.
Tout cela est grave, très grave. La démocratie ne fait pas toute la légitimité d’une république. Un pouvoir tyrannique peut se mettre en place démocratiquement. L’histoire comme on sait ne se répète pas et les formes de totalitarisme à venir sont forcément inédites. Nous sentons bien qu’une nouvelle sorte de régime politique, insidieusement, se met en place. Quand, à l’heure du laitier, un journaliste est brutalement interpelé chez lui, devant ses enfants ; quand des enfants innocents sont arrachés de l’école et renvoyés dans leur pays d’origine ; quand une association caritative est condamnée à de lourdes amendes pour être venue en aide aux sans abris ; quand….Même si nous n’avons pas encore tous les éléments théoriques permettant de penser ce régime inédit, il se présentifie déjà avec des signes certains de la monstruosité. Face à tout cela, le PS, principal parti d’opposition, se déchire lamentablement. L’heure serait-elle venue, pour nous enseignants du moins, d’entrer dans la désobéissance civile ?
Je ne parle peut-être pas d’outre tombe mais je suis d’Outre-mer. Comme beaucoup d’Antillais, j’ai aimé une certaine France malgré l’esclavage et la colonisation, malgré Vichy et la collaboration. Cette France qui à deux reprises, a su abolir l’esclavage, celle qu’on a cru ouverte aux Droits de l’homme et aux valeurs universelles. Celle dont l’école, malgré ses aspects aliénants pour nous, a su donner le sens de la révolte à un Césaire ou à un Fanon. Qu’il faille dépoussiérer cette vielle école républicaine ne signifie pas qu’on doive la jeter avec l’eau du bain. Est aussi à réviser cette identité républicaine hypocrite qui a du mal à s’ouvrir à la diversité. Et quand on constate que monsieur Brice Hortefeux, ministre de cet affreux ministère de « l’intégration, de l’identité nationale et de l’immigration », aux relents franchement vichyssois, se permet de réunir, à Vichy précisément, les ministres européens chargés des questions d’immigration on peut légitimement penser qu’il y a là une continuité conservatrice inquiétante. Ce ministre rend visite le 10 décembre au Haut Conseil à l’intégration. Je n’y serai pas. J’annonce ici publiquement ma démission du HCI. Cette France qui vient ou qui se met en place sournoisement, je ne l’aime pas. Devrions-nous alors, d’Outre-mer, faire dissidence ? Je ne sais pas. Ce qui est sûr en tout cas c’est que la plus grave erreur serait de se dire, comme à l’accoutumée, que les chiens aboient et que la caravane passe.
Jacky Dahomay. Professeur de philosophie à la Guadeloupe
Démissionnaire du Haut Conseil à l’Intégration
Publié par les diablotintines - Une Fille - Mika - Zal - uusulu

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