Aujourd’hui maman est morte* et je suis soulagée. Maman s’est suicidée en se jetant du troisième étage. Bizarre, parce que maman était parfaite. Papa, lui, dit que maman est tombée en faisant les carreaux. Papa a toujours vu la vie comme ça l’arrangeait. Comment peut-il croire que maman faisait les carreaux ? Elle détestait les faire ! Inutile de discuter avec papa, papa vit dans le déni ; il m’écœure.
J’ai toujours cru que maman avait droit de vie ou de mort sur moi, mais ce n’est pas moi qui suis morte, c’est elle. Quand j’étais petite, les bras de maman me faisaient peur. Quand ils m’entouraient, je croyais qu’ils allaient m’étouffer. Tout le monde disait que nous nous entendions tellement bien ! Moi aussi je l’ai longtemps cru. Pourtant je peux dire aujourd’hui que maman était mon bourreau.
Depuis un an, maman commençait à avoir des doutes. Ils sont arrivés sur la pointe des pieds et avec les mois, ils ont tissé leur cocon de deuil. Il y a une semaine, maman m’a dit avec force : « Tu dois vivre ta vie ! ». Je l’ai regardée à deux fois, mais elle ne m’a rien dit d’autre, et moi, je suis restée silencieuse, comme d’habitude.
Aujourd’hui je descends les escaliers, ma valise à la main, je passe le seuil de la porte et je ne regarde pas derrière moi. Papa doit m’observer derrière le rideau de la fenêtre de sa chambre, peut-être qu’il pleure, mais je ne me retournerai pas pour lui dire adieu…
Aujourd’hui maman est morte, c’est mon anniversaire : j’ai vingt ans.
* Consigne proposée par les impromptus littéraires, à partir de la première phrase de l’Etranger de Camus