La porte s’est refermée dans un tout petit bruit, le grincement des gonds sans huile.
Il y avait l’image sur l’écran vieux et moche de ma mémé, avec ce sifflement en continu.
L’image, je me souviens que c’était en couleur, en lenteur, sans le son et une réception de merde.
Derrière, mon frère venait d’allumer la radio et on entendait les infos, avec un avion tombé dans l’océan et des gens morts dedans.
Que les autres soient morts, je n’imagine pas que ça m’ait un peu secoué.
Quand c’est de loin en général, ça fait rien.
Ma question du jour c’était plutôt combien de temps encore il me restait…
« On part dans 10 minutes » a dit le frangin. Et moi, je n’étais pas prêt, pas du tout.
Je n’ai pas bougé.
Il a secoué mon épaule. Un geste un peu absent et habituel qui signifiait « plus jamais devant nous du temps »…mais grandir…c’était ça grandir…
On est sorti, et dans la rue de l’hiver ça faisait froid de mes orteils à mes oreilles.
Moi Arthur M, petit garçon.
Dans le bus, la buée sur les vitres et le sommeil des gens qui se traînent vers la fortune de leur loyer impayé. J’ai pensé subitement à mon livre de géographie ; je l’avais laissé tomber dans le couloir. Tout seul sur la moquette beige, l’atlas du monde. Tout l’univers qui s’en foutrait, sauf Mr Bichon, le prof au gros nez rouge qui piquerait son coup de cinglerie devant ma tronche endormie et absente… « Mot dans le carnet Arthur M, c’est déjà la troisième fois cette semaine ! »
J’ai soupiré.
Toujours dans le bus.
La porte accordéon a hésité fort sur la rue froide et brillante de liberté…j’ai sauté à deux pieds dans le caniveau et mon frère s’est mis à brailler :
- Putain Arthur reviens !
Fermeture automatique, bruit du moteur qui s’éloigne, visage contrarié de l’aîné derrière la vitre encrassée.
Moi Arthur M, petit garçon, seul ici.
La rue.