Le recours au méta (discours sur son objet) est un des ressorts les plus éculés du film parodique.
Souvenez-vous du faux Dark Vador qui finit au milieu des techniciens du film dans “La folle histoire de l’espace”.
Tiens, c’est le mec qui joue le crétin dans "Ghostbusters" et dans "Chérie, j’ai rétréci les gosses". Quelle carrière, mes amis !
Mais également des critiques de Wayne à propos du mauvais figurant dans “Wayne’s World 2”.
On n’oublie pas non plus le décompte des morts qui fait élire “Hot Shots 2” “Bloddiest film ever made”.
Et puis de tout "Last Action Hero" (il faudrait que je fasse un post sur ce film injustement oublié).
(Eh ouais, aujourd’hui, on sort ses classiques).
Donc, avec “Tropic Thunder”, ça partait bien, parce que le film en lui-même est intégralement un film “méta” : un film qui met en scène un tournage de film. Un peu comme “La nuit américaine”, tout à fait, sauf qu’à part ça, ça n’a rien à voir.
François Truffaut, Ben Stiller, même combat
Parce que, alors que “La nuit américaine” montrait des comédiens au travail et cherchait à montrer combien ils ont des émotions fortes, “Tropic Thunder” montre des comédiens qui sont censés bosser (ils savent que des caméras les filment), mais qui en fait préféreraient être payés à rien foutre, et doivent par ailleurs survivre au milieu d’une jungle hostile.
Vous voulez un spoiler ?
Et bien, à la fin, ils s’en sortent tous.
C’est le principe d’un film parodique méta, en même temps. ça finit bien.
C’est outrancier, c’est crétin, c’est du Ben Stiller, l’inventeur du coiffage au sperme.
Donc c’est un film qui mérite de figurer en bonne place dans la liste sus-citée, entre “Hot Shots” et “Y a-til un pilote dans l’avion”.
Cependant, ce film met en oeuvre de manière bien plus subtile (n’ayons pas peur des mots) le rapport entre l’artifice et la réalité dans la construction d’une image cinématographique
Le pitch, c’est que des comédiens faignants venus tourner un film sur la guerre du Viet-Nam sont lâchés dans la nature par leur réalisateur pour qu’ils trouvent un peu d’authenticité (ils sont censés jouer et être filmés par des caméras invisibles) et arrêtent de jouer les divas. Après la mort accidentelle de ce dernier, ils se trouvent livrés à eux-mêmes dans la jungle, où ils font face à de multiples dangers inattendus (ils ne jouent donc pas).
Cependant, ces dangers les placent dans des situations comparables à celles du script (qu’ils reproduisent inconsciemment puisqu’ils ne jouent pas).
Or, la toute dernière partie du film *spoiler* les montre en train de rafler tous les Oscars avec leur prestation non jouée.
Cette idée recoupe le cliché de l’acteur “naturel” qui “s’approprie son rôle et ressent vraiment les émotions”.
Bref, c’est un point de vue qui ne contredit en rien les clichés habituellement véhiculés par les médias spécialisés et par les acteurs eux-mêmes.
Assez bien foutu, très marrant, mais pas très original en soi.
Mais là où le film prend une distance avec le cliché qu’il met en oeuvre et où l’on voit que Ben Stiller, en plus d’être, en plus d’être outrancier et crétin, est aussi très très intelligent, c’est que le jeu entre réalité et artifice est présent également entre le film “Tropic Thunder” et la réalité des acteurs qui l’interprètent.
Le même rapport entre la réalité et sa représentation est donc présent à deuxième niveau, mais il est COMPLETEMENT DIFFERENT.
Et cela se voit concernant un personnage en particulier, celui joué par Robert Downey Jr.
Robert Downey Jr. joue en effet un acteur multi-oscarisé blanc qui joue le rôle d’un officier noir dans les années 70.
Donc, un brother sorti du ghetto et fortement politisé.
Acteur de la méthode, l’acteur que joue Downey ne se départit jamais de son personnage et garde l’accent du Bronx en permanence.
Mais à la fin du film, ayant beaucoup appris lors de son séjour dans la jungle, il laisse tomber ses oripeaux pour être vraiment lui-même, décolle sa perruque crépue et enlève ses lentilles noires pour laisser à l’air libre ses cheveux blonds et ses yeux bleus, qui irradient l’écran comme les dents des cagoles qui sourient dans les pubs pour dentifrices.
Ainsi, c’est en jouant au naturel (c’est-à-dire, peu ou prou, sans jouer) que Robert Downey Jr. va pouvoir participer aux Oscars
Sauf que RDJ n’est absolument pas blond aux yeux bleus.
Ben non, en réalité, il est plutôt comme ça :
Des cagoles aux bras
Donc, Ben Stiller s’ingénie à brouiller le message qu’il délivre sur le rapport entre réalité et fiction : alors que son film conforte le spectateur dans l’idée que les acteurs sont d’autant meilleurs qu’ils sont naturels et ressortent leurs émotions au plus profond de leur être sensible à fleur de peau qui a besoin de s’exprimer sinon ils étouffent, il montre que le cinéma, ce n’est que de l’artifice ; et que l’identification de l’artifice fait également partie du plaisir du spectateur, au même titre que l’illusion dramatique. C’est parce qu’on voit comment c’est fait qu’on peut dire que c’est bien fait. L’art ne cherche pas la vérité, il cherche la justesse.
Sinon, comment expliquer les comédies musicales ?