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En juin, petit miracle

Publié le 13 décembre 2008 par Unepageparjour

En juin, petit miracle, les championnats régionaux d’athlétismes jeunes se déroulaient à Versailles, au stade Montbauron. Son stade ! Plein comme un œuf. Les six milles places étaient prises. Par les parents, les frères, les tantes, les amis, des centaines d’adolescents qui s’affrontaient dans les multiples compétitions et les nombreuses catégories d’âge. Lola était inscrite en minime, pour le « kilo », les mille mètres. Les deux tours de stade et demi. La distance mythique.

Le soleil chauffait un azur léger, presque blanc, qu’accompagnait une brise évanescente, pareille à une jeune mariée enroulée de gaze, évaporée, dansante, inconsciente de cette joyeuse agitation qui avait envahi l’enceinte sportive. Lola s’échauffait dans l’immense brouhaha des gradins, des sifflets des arbitres, des contestations des sauteurs, des poids s’écrasant dans l’herbe tiède, des javelots poignardant la terre, des corps des perchistes sur les matelas bleus. Mille mètres à plat. Moins de trois minutes d’effort. Une éternité ! Avec gourmandise, Lola attendait le départ, impatiente de se lancer sur cette piste. De vaincre.

Le premier tour est toujours sans histoire. La lièvre caracolait cheveux aux vents. Une grande fille à la peau laiteuse, couverte de tâches de rousseurs, sur les épaules, les mollets, le haut du dos. Lola se cachait dans sa trace. La petite brune trapue, à ses côtés, la surveillait du coin de l’œil. Le peloton, juste derrière, battait la mesure, de ses dix mille pieds frappant la piste en rythme sauvage.

Le deuxième tour fait parfois des ravages. Lola eut juste le temps de s’écarter un peu pour laisser passer les tâches de rousseurs qui s’effondraient. Déjà ? Eut-elle le temps de penser. La brunette restait à côté d’elle. Une blonde les rattrapait. Une course à trois. Le peloton résonnait au loin. Il devenait murmure. La cloche. Le dernier demi-tour.

Une longue mélopée s’évapora alors des travées du stade. Un chant nouveau, qu’elle n’avait jamais entendu. Les mêmes mots, qu’elle ne comprenait pas tout de suite. Des mots inconnus, dont elle ne savait pas qu’il lui était destiné :

Lo ! La ! Lo ! La ! Lo ! La! Lo! La! Lo! La! Lo! La! Lo! La! Lo! La!

Tout le stade s’était mis à chanter, pour la régionale de la course. Cent mètres, encore. Chaque cri emportait ses semelles, qui s’envolaient au dessus de la piste. La brune avait disparu.

Cinquante mètres. Lo ! La ! Lo ! La ! Lo ! La! Lo! La blonde luttait contre l’air qui fuyait ses poumons. Le corps cassé, elle s’accrochait à ses bras. Lola suivait.

Trente mètres. La ! Lo ! La ! Lo ! La ! Le grand pré, les courses avec Habélard. Elle voyait son encolure, la pointe de ses oreilles qui la surveillait. Elle pouvait le rattraper. Elle en était sûre.

Quinze mètres. Lo ! La ! Lo ! Un dernier saut. Lola croisa le regard bleu de l’autre, un regard de détresse, un regard perdu, un regard qui disparaît, dans l’affaissement du corps, quand l’ultime foulée manque juste un peu de force pour s’arracher de la terre.

Dernier mètre. La ! Le fil rouge qui explose. Habélard qui renâcle, secouant sa tête fière, vexé de sa défaite.

Lola levait les bras dans le ciel bleu.

Lola au stade montbauron de versailles



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